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AUTOUR D'ICI : le blog d'olivier goetz
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19 décembre 2008

TOUS LES SOLEILS

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Dans une obscurité relativement exempte de pollution lumineuse, un OVNI rougeoie dans le ciel de la Lorraine du Nord. « Tous les soleils », aménagement du « U4 » d’Uckange, dernier haut-fourneau visible sur le territoire français, n’est pas un « monument aux morts », il se présente, au contraire, comme la métamorphose d’une ruine, longtemps considérée comme une nuisance environnementale, en un objet précieux. L’émotion que génère cette cathédrale de lumière n’est donc pas faite de la nostalgie d’une époque révolue, elle résulte, du geste d’un artiste contemporain, Claude Lévêque, grand prêtre de cette étonnante transsubstantiation.

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Inscrite au programme de Luxembourg 2007 (qu’elle venait, in extremis, sauver de la ruine), l’opération illustre de manière emblématique le souci de valoriser des sites sauvegardés du patrimoine sidérurgique. Le tour de passe-passe qui consiste à magnifier la souffrance, la saleté des usines et des mines ne pouvait s’effectuer dans la continuité directe de la fermeture de leur exploitation. Il aura fallu attendre plusieurs années pour pouvoir envisager sereinement la formule d’un recyclage culturel. L’intérêt va croissant, au fur et à mesure que s’éloigne la réalité douloureuse de l’histoire. Une fois hors d’usage, les bâtiments extravagants du capitalisme triomphant se transforment en objets de curiosité et en œuvres d’art. Un Haut-fourneau devient une immense sculpture, un puits de mine, un haut lieu de mémoire.

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La constellation que forment, sur la carte régionale, les sites de Belval et Fond-de-Gras (au Luxembourg), de Petite-Rosselle et d’Uckange (en Lorraine) et de Vöklingen (en Sarre), constitue désormais un itinéraire attractif, comparable à celui des églises romanes, en Bourgogne, ou de la route du vin, en Alsace.
Le traitement culturel de l’histoire pose, au fond, trois types de questions. D’ordre technique, d’abord : dès lors qu’ils ne sont plus fonctionnels, les édifices sont fragiles, malgré leur caractère cyclopéen. Il faut, non seulement, assurer la pérennité d’un bâtiment attaqué par l’érosion, mais garantir la sécurité du public. D’ordre éthique, ensuite : la plupart du temps, la mémoire des hommes qui y travaillèrent reste vive et chatouilleuse ; la reconversion doit tenir compte de leur avis et respecter leur regard. Qui ne se souvient des sarcasmes et de l’amertume qui entourèrent la création d’un parc à Schtroumpf censé, dans les discours politiques de l’époque, se substituer aux emplois perdus ! Si, lors de la « fermeture de la Lorraine », la résignation a fini par succéder à la colère, il ne semble pas opportun de rajouter l’humiliation au martyrologue des travailleurs frappés par une crise dont les effets sont encore largement perceptibles. De là découle la troisième question, qui est celle de l’esthétique de tous ces projets. Pour assurer, à long terme, le succès de l’entreprise, la patrimonialisation doit prendre un tour intellectuel convaincant. En d’autres termes, il s’agit de rendre artistiquement désirables des terrains vagues et des montagnes de fer rouillé. Vasques de géranium, panneaux pédagogiques et autres « sons et lumières » ne sauraient y suffire.
Le site d’Uckange a mis dix ans à résoudre ce faisceau de questions : la mise en conformité (la proximité d’un tuyau de gaz présente encore quelque danger), l’obtention d’un consensus moral et le choix culturel, proprement dit, de ne pas faire de l’U4 un simple musée. Experts culturels et responsables politiques ont fait preuve de courage en renonçant à exploiter les ressources littérales du lieu pour en proposer, d’emblée, une lecture symbolique. Ils ont valorisé les qualités intrinsèques d’une construction qui mérite d’être contemplée, au même titre que la cathédrale de Reims, le pont du Gard ou la Tour Eiffel. Le haut-fourneau devient, de fait, une « merveille » dont la propriété esthétique n’entrave en rien la mémoire historique ou sociologique qui lui est inhérente.

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Claude Lévêque, parmi les Français, était, sans doute, le mieux placé pour affronter ce monstre de béton et d’acier. Fort de nombreuses expériences menées, in situ, ce géant de l’art contemporain a trouvé dans ce chantier un terrain à sa mesure. L’artiste aime à professer son intérêt pour le lien social. Ici, le principe de son action est assez simple (la réalisation, sans doute, beaucoup moins). Sans toucher à la structure du bâtiment, il est intervenu en surface (peinture dorée des nacelles supérieures et dramaturgie lumineuse concentrique) pour, finalement, créer un parcours qui autorise une infinité de points de vue.

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La qualité précieuse de ce travail de est d’aménager la possibilité d’une rêverie, de dessiner les contours d’une fantasmagorie. La dimension onirique de l’œuvre n’est pas, pour autant, déconnectée du réel. Sa création ne devient effective que dans la relation avec les spectateurs. Que le visiteur projette son imagination dans le passé ou dans le futur, son expérience reste, indubitablement, dépaysante. Un promeneur non prévenu pourra, certes, se satisfaire de ce qu’il prendra, peut-être, pour une simple mise en lumière. Mais informé sur la véritable nature de l’installation, le même visiteur tentera d’élucider, plus avant, la complexité d’une action artistique. La pertinence de cette action étant, précisément, d’abolir la frontière entre ces deux attitudes. Car, ici, le propos esthétique ne s’oppose, en aucune façon, à l’esprit du lieu qu’il interprète sans y porter atteinte. La réussite vient du fait qu’une proposition aussi singulière coexiste avec une charge historique aussi intense. Loin de se combattre ou de s’annuler, les deux logiques se soutiennent et s’exaltent mutuellement, laissant le spectateur injecter dans sa visite le sens qu’il veut lui donner.
Le cahier des charges imposait la pérennité de l’œuvre. On sent poindre, là, l’inquiétude d’un artiste habitué à des réalisations moins durables. Que deviendra, dans les décennies à venir, le Haut-fourneau d’Uckange ? Comment ses usagers vont-il s’approprier ce poème coloré, ce chant de sirènes de la fonte en fusion ? Le devenir du projet est sa part de mystère. Peut-être est-il préférable n’y pas penser. Il faut, maintenant, aller à Uckange pour jouir du miracle de la nuit transfigurée.


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