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AUTOUR D'ICI : le blog d'olivier goetz
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22 décembre 2008

Tableau perdu ?

"Qui ne se souvient du tableau du peintre Hippolyte Lazerges, représentant le foyer de l'Odéon, vers 1866 ou 1867 ? J'aurais aimé à le retrouver soit au foyer du nouvel Odéon, soit dans un musée, car c'est vraiment là un document historique tout à fait intéressant. Une époque entière y revit. Il y a de la sorte, trois ou quatre tableaux qui nous rendent, avec une singulière vérité, bien des physionomies et des époques disparues.

Heim_Salon
François Joseph Heim, 1825, Musée du Louvre

Le beau tableau de Heim représentant la distribution des récompenses d'un Salon de peinture sous Charles X, avec Horace Vernet, tout jeune, en culotte courte et en bas de soie, le duc d'Orléans, Mlle Delhine Gay, blonde, et rose et juvénile, et tel autre tableau de Heim (un des peintres excellents de ce siècle), un tableau accroché sous les combles du palais de Versailles, sont de ces documents historiques et littéraires dont je parle. Cette dernière toile a pour titre : Andrieu lisant une comédie au foyer du Théâtre-Français.


Heim_1

Toute l'ancienne école littéraire figure là, avec ses Viennet et ses Casimir Bonjour, et, en face d'elle, Heim a placé les nouveaux venus de son temps : Émile Deschamps, Scribe, cravaté strictement, l'air d'un notaire ; Alexandre Dumas, debout près de la cheminée, les bras croisés, gai, souriant, heureux dans sa chevelure crépue, et, à côté de lui, droit, vêtu d'un habit noir serré, les mains dans des gants blancs, vu de profil, avec ses yeux levés au ciel et de longs cheveux blonds tombant derrière son visage sans barbe, Victor Hugo, Victor Hugo vivant et saisissant, tel qu'il devait être, tel qu'il a été, saisi par le pinceau de Heim avec une étonnante précision photographique.



Heim_2_p   Heim_3

Le tableau de M. Lazerges pouvait avoir et aura un jour le même intérêt "documentaire". Le bon gros critique Jules Janin y apparaît, entouré de toute cette littérature d'il y a quinze ans, qui l'appelait le maître et Lazerges l'a représenté assis sur cette banquette de velours, près de la galerie de gauche du foyer, qui était sa place habituelle, et où il causait sans façon et riait de son rire d'épicurien en belle humeur, mais d'épicurien en cravate blanche.
Il fut question, un moment, de l'achat de cette toile par l'État. Le prix débattu avait été accepté, lorsqu'au Ministère des beaux-arts on dit à M. Lazergue :
— Nos conventions subsistent, à une condition pourtant.
— À quelle condition ?
— Vous redonnerez encore à votre tableau quelques coups de pinceau.
— Très volontiers.
— Mais des coups de pinceau qui porteront surtout - et uniquement - sur une figure.
— Quelle figure ?
— Vous avez montré là un personnage qu'il ne nous serait pas agréable de présenter au public d'un musée comme celui du Luxembourg, par exemple. Ce personnage, vous aurez la complaisance de l'effacer, de le remplacer par un autre, par qui vous voudrez, d'ailleurs. Vous en êtes parfaitement libre.
— Et ce personnage ? demanda Lazerges.
— C'est M. Henri Rochefort.
Dieu sait si le peintre s'était jamais imaginé qu'il fît œuvre de politique en groupant, dans le foyer de l'Odéon, les renommées théâtrales parisienes : Georges Sand et M. Émile Augier, Dumas fils et Sardou, Banville et Théophile Gautier, Rochefort et Pierre Véron ! Il refusa énergiquement d'effacer quoi que ce fût et d'exiler quelqu'un de sa toile. Il eût dit voontiers : "Il y est, il y restera !"
— Eh ! bien, soit, répondit-on au Ministère. On ne vous achètera point votre tableau.
On ne l'acheta pas, en effet, et j'ai vu naguère ce Foyer de l'Odéon, à qui la réouverture de l'Odéon me fait penser, chez un marchand de tableaux de la rue Laffite. Il court les étalages, il a peut-être déjà passé par les hasards des ventes ; je ne sais à qui il a appartenu, mais M. Lazerges a tenu parole : Rochefort y est toujours."

Jules Claretie, La Vie à Paris, 1880

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