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AUTOUR D'ICI : le blog d'olivier goetz
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AUTOUR D'ICI : le blog d'olivier goetz
15 avril 2009

SKALL, LE GESTE ET LA RAISON

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À l'invitation de Michèle Naturel je suis allé, le 7 avril dernier, parler de Skall, au Musée de Châteauroux. Skall m'accompagnait pour faire ce qu’il est convenu d’appeler « une performance ». Il me semblait bienvenu que mon discours, forcément réducteur, soit suivi ou accompagné, par la performance qui redonne à l’artiste la place qui est la sienne, la première.

 

Toutefois, je me retrouvais dans une situation délicate. Car, l’objet de ma conférence n’était plus un objet, mais un artiste vivant. Skall, ici présent. C’est-à-dire que l’« objet » de mon discours, était aussi un sujet, sujet qui aurait très bien pu parler lui-même de son travail, de l’art baroque, de la pluie et du beau temps, ou de n’importe quoi…
Prononcer une conférence sur un artiste vivant est un piège. Pour l’artiste, le risque est de se voir réduit (comme une tête de Jivaro) à des définitions et à un modèle qui le cantonnent dans un cadre théorique ou historique  (alors que son art en plein devenir est riche, surtout, de potentialités). Pour le conférencier, le risque tient à ce qu’il ait à parler de quelque chose qui lui échappe, qu’il ne connaît que partiellement et qui, au moment même où il s’exprime, est déjà en train d’évoluer, de se reconfigurer autrement et de contredire, peut-être, ce qu’il a avancé.
Aussi, faut-il avancer prudemment dans ce type de discours, renoncer à toute position d'autorité, au profit d'une "recherche" (dans la mesure où la recherche, c’est « enseigner ce qu’on ne sait pas », disait Roland Barthes.

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Le fait que Skall soit plasticien au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire quelqu’un qui fabrique des choses, des œuvres (peut-être même des « chefs d’œuvre ») qui ont une valeur d’objet très forte, que l’on peut déplacer, collectionner, admirer dans différents contextes (comme en témoigne la pièce qui est entrée dans la collection des musées de Châteauroux), et qu’il soit, par ailleurs, un « performeur », [ image] pratiquant une forme d’intervention qui fait, de son propre corps, la matière de son art, trouble assez délicieusement, le jeu de la parole et interroge la notion même de « conférence ». Car son travail s’inscrit, alors, dans une temporalité et une spatialité précises et inamovibles. Il devient circonstanciel et perd, au moins durant le temps qu'on y assiste (qu'on y participe), sa valeur d'exemplarité. 

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En réalité, il semble bien difficile de parler de Skall en termes objectifs (comme si son œuvre était achevée, comme s’il était mort). Le titre de cette conférence était « Skall, le Geste et la raison »… Pressé de donner un titre,  j’avais proposé cela et, j’avoue que je ne sais plus pourquoi. Mais, au fond, c’était très bien ainsi. Car il doit bien y avoir une « raison », en effet, à ce travail déraisonnable. Et je suppose, qu’on attend d’un conférencier qu’il soit, précisément, celui qui tente de rationaliser l’irrationnel.
Au risque de décevoir, je pense que cette approche traditionnelle, cette approche classique qui cherche à interpréter une œuvre, à lui donner du sens, sans se laisser impressionner (mystifier) par les modalités agissantes de l’artiste vivant, prêt à intervenir sous des formes qui ne résument pas à des résultats objectifs, n’est pas vraiment satisfaisante.
Car, comme le dit encore Barthes, "le fantasme est plus fort que son interprétation". C’est sur le fantasme, et sur le fantastique, au sens étymologique du terme, sur l’imagination, que se replie mon propos, lorsque le conférencier laisse le pas au… performeur. Il ne peut donc s'agir ici que d'indiquer quelques pistes et partager un enthousiasme. Du reste, je ne vois pas quelle autre fonction pourrait avoir ce blog…

 

On peut définir Skall comme un artiste du geste.

 

Artiste du geste, parce qu’il performe, bien sûr… La performance est un geste, en effet, cela tombe sous le sens. Mais, ce qui est moins évident, c’est que l’objet est, lui aussi, littéralement et métaphoriquement, le résultat, la condensation d’un geste.

 

L’objet skallien est un objet d’après la performance. C’est-à-dire que les performances de Skall obligent à regarder ses pièces d'un autre œil, à leur donner un statut dynamique, différent de ce qu'elles seraient si elles n'étaient que le fait d'un simple sculpteur. Chez lui, objet et performance sont deux modes d’expression qui vont dans le même sens et qu’anime le même élan, à la limite de l'instabilité. Ce statut dynamique, de l’objet n’est d’ailleurs pas propre à Skall, il caractérise sans doute une grande partie de l’art contemporain où l’œuvre – objet n’est plus, comme jadis, cette chose achevée qui sort de l’atelier de l’artiste pour prendre place dans l’espace d’exposition. « C’est le regardeur qui fait le tableau », a dit Marcel Duchamp. Phrase inaugurale d'une nouvelle conception artistique, qui autorise de nouvelles manières de créer (comme les ready-made) et qui sert de borne symbolique, en quelque sorte, à cette période de l’histoire de l’art qu’on nomme « l’art contemporain ». Cette définition étant moins chronologique que stylistique. La phrase de Duchamp déstabilise les spectateurs. Mais, en leur donnant la responsabilité de « faire le tableau », n’est-on pas en train de les rouler dans la farine ou de se moquer d’eux ? Ce n’est jamais tout à fait exclu. Il y a, entre les acteurs de l’art contemporain (artistes, galeristes, experts, spectateurs…), tout un jeu du chat et de la souris. De Dada à Jeff Koons, les artistes n’ont cessé de se placer sur le fil du rasoir, laissant la place au doute, au scepticisme et, parfois, au scandale. Ainsi, lorsque les sceptiques s’interrogent : « Est-ce vraiment de l’art ? », il est toujours de leur renvoyer la question et de leur répondre : « Et vous, qu’en pensez-vous ? Ça dépend de vous ! ».

 

L’interprétation d’une œuvre ne repose, au fond, que sur deux jambes : il y a les intentions qu’y a placées l’artiste (ce qu’il a voulu faire) et la confiance que lui accordent ses « regardeur » (ce qu’on veut bien y voir). Le critique spécialisé procède exactement de la même manière que le spectateur amateur, tout juste a-t-il, peut-être, à sa disposition, un répertoire plus vaste de références culturelles (mais ces références n’en sont pas moins puisées dans le réservoir commun, un domaine de connaissances historiques et symboliques largement partagé…).

 

Aussi savant soit-il, ce mode interprétation n’épuise jamais la richesse de l’œuvre. Il y a toujours un reste, quelque chose d’obtus, c’est-à-dire qu’on ne sait (peut) pas traiter, quelque chose de non-réductible au langage. Cette part intraitable est, à la lettre, incompréhensible, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’ait pas de valeur, bien au contraire. Elle est peut-être ce qu’il y a de plus précieux.

 

Ce que j’appelle, ici, « le geste » n’est donc pas une opération de communication, ce n’est pas l’intention de faire passer un message. Ce geste (qui est ce qu’il y a de plus précieux…), au fond, c’est ce qui me touche (au propre et au figuré), ce qui produit sur moi un affect, engendre une sensation, sans que je puisse forcément en rendre compte au niveau du discours. Ainsi en va-t-il, aussi, de l’érotisme, si quelqu’un me plaît, le fait que je sois ému  ne s’explique pas  : c’est comme ça. Ça n’a pas de sens. Il y a un processus physique, une chimie intimes qui font que « ça marche ». Ça se situe au niveau d’une certaine efficience. En ce qui concerne le rapport à l’œuvre d’art, c’est l’efficacité de la démarche que j’éprouve. Mais, à la différence de mes goûts érotiques dont je me fiche, après tout, qu’on les approuve (il me suffit qu’on les tolère), il importe, dans le cadre de la relation au travail d’un artiste, qu’un certain partage soit possible.
Donc, il ne s'agit pas d'analyser des œuvres (cette opération destructrice), tout au plus repérer des points ou des lignes qui dessinent la figure d’un goût ou d’un désir artistiques.

 

Cette complexité du geste et de l’objet (qui déteignent l’un sur l’autre), dans le travail de Skall, oblige à opérer des allers-retours entre les différentes facettes de son action.

 

Skall reste, pour moi qui le connais personnellement depuis longtemps et qui m’intéresse à ce qu’il fait, une énigme. Et il importe, à mes yeux, de ne pas déflorer cette énigme, de lui conserver autant que possible son caractère mystérieux et imprévisible.

 

Avant de préciser la manière dont je perçois « le geste de Skall », je peux essayer de fournir quelques informations. Là encore, il ne s’agit pas de momifier ou de muséïfier un artiste dont l’œuvre est en plein développement. Seulement proposer quelques biographèmes…
Enfin, à partir de quelques exemples, j’aimerais tenter de dégager des lignes de forces, des lignes de devenir. Car, derrière la diversité des médias (sculpture, peinture, vidéo, photo, performance), c’est le même esprit qui agit et ce sont les mêmes obsessions qui sont en œuvre. Selon moi, cette folie skallienne, cet esprit baroque et passionné, peut aussi se comprendre comme une « sagesse », à condition de ne pas mettre, dans ce mot, des choses trop graves, trop sérieuses ni, surtout, trop ennuyeuses.

 

1.  Lignes de vie (biographèmes)
Skall est né en 1960.

 

Il est issu d'une lignée de voyageurs et de chevaliers d'industrie.

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Son grand-père, commerçant bordelais, ouvre un comptoir en Guinée.

 

Son père, pilote, capitaine au long cours, gère des manœuvres pétrolières délicates, qui l'envoie en Afrique et en Asie.

 

L'enfance de Skall se déroule très loin de l'Europe, toujours au bord de la mer, là où son père opère les chargements de pétrole sur les cargots.

 

En 1964, Skall âgé de quatre ans, s'envole pour l'Indonésie à bord du premier avion à réaction. Il se souvient de ses premières impressions : couleurs, nourritures, pluie, chaleur, homards, cacahuettes, militaires (c'est la révolution), départ en catastrophe…

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À cinq ans, au Gabon, la brousse, la vie dans une enclave, dix maisons de blancs au bord d'un lac. Crocodiles et hippopotames. Fétiches, marabouts, masques sur des échasses. Jusqu'à l'âge de dix ans.

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Adolescence en Malaisie, contact avec la population chinoise et la population indienne. India Song. Marguerite Duras…

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De 1973 à 1977, au Sultanat d'Onan. En pleine guerre du Liban, avec l'afflux des Palestiniens, les derniers jours du Shah d'Iran…

 

Retour à Paris. Au lycée pour la première fois (il n'a presque jamais été à l'école). Insertion difficile. "Sauvé" par son professeur d'arts plastiques. Visite d'expositions. Vocation artistique. Influence de la BD et du graph. De Robert Malaval aussi, qu'il admire.

 

Le bac en poche, il est reçu au concours d'entrée de l'École d'Arts appliqués. Mais ça se passe mal. On lui refuse de passer son diplôme avec ses peintures, il les expose dans l'escalier, occasionnant un petit scandale. Certains de ses professeurs le soutiennent et lui conseille de poursuivre dans sa propre voie.

 

1ère toile

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Petit à petit, les toiles sont agrémentées d'objets, de chaînes, de broderies, de paillettes. Mise en place d'un vocabulaire plastique. La forme est découpée, irrégulière, en un mot, baroque. Au point que les toiles deviennent des toiles-objets.

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Début d'une correspondance suivie avec une jeune fille, Agnès. Skall pratique intensément l'art postal, sans savoir qu'il s'agit d'une catégorie répertoriée. Skall devient "Skall" (le nom que lui a donné Agnès)

 

Premières expositions. À Paris, à Amsterdam.

 

Skall s'éloigne de plus en plus de la peinture.

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1987 : Morceaux de Paradis :

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Au début des années 90, récession économique. Largué par ses galeries, Skall traverse une période difficile. Mais en 1993 il est lauréat de la Villa Médicis hors les murs et part passer six mois en Indes.

 

Période de reconstitution.  Au retour, Skall se croit oublié.

 

En 1997, expo à la galerie Tadeusz Roppac.

 

Voyages à Lisbonne, à New-York.

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Performances au Sri Lanka. À Berlin où, suspendu, il fait une terrible chute et se casse le dos.

 

Production de ses œuvres majeures.

 

La grande colonne (Sancticity of life), 2002 :

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Leurs Larmes

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Achats publics. Entrée dans des collections.

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Performances :

Le faune rouge

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Aqua sidérale

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Objet et performance. C'est sur ce paradigme qu'il faut se placer pour comprendre ce que j'appelle ici "le geste de Skall".

 

1993 Prix de la Villa Médicis hors les murs. En Inde.

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2. Le Geste de « Skall »
Dans la notice que j’ai consacré à la sculpture de Skall (dans le catalogue de l’exposition sur la céramique contemporaine « Un autre regard ») - mais le mot même de « sculpture » est impropre, car c’est plutôt un assemblage, en aucun cas un modelage ni le dégagement de la forme cachée dans la matière-, j’ai parlé de lui comme d’un bricoleur.

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Je ne connaissais, alors, que l’œuvre encore inachevée, dans l’atelier de Skall. Lorsque j’ai décrit Skall arpentant les marchés aux puces ou le supermarché des Tang, dans le quartier chinois près duquel il travaille, j’ai volontairement insisté sur son « dilettantisme ». Le mot a peut-être une connotation désagréable, qui pourrait laisser entendre que Skall n’est pas un artiste pour de bon, un artiste professionnel, un véritable artiste. Mais ce que je voulais dire c’est
1° que Skall ne s’est jamais enfermé dans une technique, dans un labeur. Qu’il n’a pas consacré sa vie à un médium qu’il aurait approfondi et dont il aurait acquis, petit à petit, la maîtrise. Il n’est pas un sculpteur, à proprement parler, encore moins un potier ou un céramiste… Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’il n’a pas ses petits secrets de fabrique, ses tours, ses ruses… au contraire, tel Ulysse dans l’Odyssée, il est aussi l’homme aux mille tours, et j’aurais pu intituler à ce billet : "Skall, le rusé".
2° Skall est un bricoleur et un glaneur. Bricoler, c’est d’abord un loisir, et un plaisir. C’est ce que font les retraités dans leur garage… Mais c’est aussi une pratique de chercheur et, même, au niveau scientifique, une formule heuristique. Une manière de faire surgir la vérité. Non pas une vérité immanente, une vérité qui préexiste… Pas une essence véridique, une vérité qu’on construit et qu’on élabore. Et, dans cette élaboration d’une vérité particulière, d’une vérité relative, tous les coups sont permis. La méthode ne préexiste pas, il faut l’inventer.
Cette conception du bricolage, à laquelle Claude Lévy-Strauss (La pensée sauvage, 1962) donna ses lettres de noblesse, est une formule de la modernité. Contrairement à l’ingénieur, qui manie des concepts, le bricoleur manie des signes. L’ingénieur à affaire à du bois ou à du fer. Le bricoleur à un morceau de bois, ou à une pièce métallique… Le bricoleur, enfin, est une sorte d’esthète qui prend plaisir dans la simple combinaison nouvelle qu’il réalise (le résultat obtenu est alors secondaire, le plaisir de l’éventuel succès venant de surcroît) alors que l’ingénieur, qui a au préalable tout calculé pour que n’éprouve généralement de véritable plaisir qu’à cette condition d’atteindre le résultat qu’il a calculé d’avance…
Au fond, toute la « modernité » se dessine sous l’égide du bricolage :
Modernité philosophique, le concept est une élaboration (Deleuze),
Modernité scientifique (les sciences humaines, certes, Histoire, ethnologie, sociologie, psychologie…) mais, sans doute, aussi les sciences dures depuis Poincarré…).
Modernité artistique, enfin, et surtout.
Car tout un pan de l’art moderne, depuis la fin du XIXe siècle, repose sur la  passion du montage, du collage, de l’assemblage. Bien sûr, on ne peut pas dire que tout l’art moderne participe de cette manière de faire. Il y eut aussi, notamment dans les années 60 et 70, un art conceptuel (souvent minimaliste) qui cherchait à réduire, autant que possible, la dimension aléatoire, la part émotionnelle, la part brillante, la part affective, donc, qui résulte d’une pratique artisanale et d’un bricolage…
Aux racines de la modernité, on peut faire apparaître cette topologie en prenant l'exemple de Rodin.
Il y a un Rodin classique, un Rodin académique qui n'est peut-être pas celui qui nous touche le plus, aujourd'hui. Le Rodin du Baiser et du Penseur, par exemple.

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Aussi admirables que soit ces œuvres, leur dimension chef-d’œuvrale est presque un obstacle à leur contemplation. On ne peut plus le regarder sans penser à Rodin lui-même, à son destin historique, à sa place dominante dans l’histoire de la sculpture…
Mais il y a un autre Rodin, celui de l’atelier, où s’agite une équipe de collaborateurs, où se baladent, épars, des fragments de sculptures, des morceaux de plâtres, des pièces de marbre et, surtout, des fragments de corps. Le corps en morceau, le corps morcelé.

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Le génie du sculpteur est d’avoir compris que ces morceaux étaient en eux-mêmes des œuvres et de les avoir présentés, tels quels ou sous la formes de différences compositions (la plus célèbre et la plus impressionnante étant évidemment celle de la Porte de l’Enfer).

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Le génie généreux et éclectique de Rodin pouvait assumer, simultanément, deux manières (l’une monumentale, orgueilleuse, massive, l’autre fragmentaire et combinatoire), indiquant ainsi deux directions artistiques qui, chez ses successeurs, ne semblent plus conciliables.

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à gauche, Rodin, à droite Skall (photo d'atelier)

Il y a d’un côté les artistes synthétiques (Maillol, Moore, Morris) pour ne rester que dans le champ de la sculpture.

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Et de l’autre les artistes composites  (Facteur cheval, Picassiette, art brut, Duchamp, Picasso, Calder, Tinguely, Ben…)

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Le palais idéal du facteur Cheval

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Il me semble que Skall doit plus à ces derniers qu’aux premiers. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas capable de les apprécier, qu’il ne les respecte pas. Une des caractéristiques de Skall, est justement son éclectisme, le fait qu’il admire et qu’il aime beaucoup de choses. Ainsi s'exprime sa générostié, qui est une part de sa sagesse… Esthète (au sens positif du terme), Skal n'a pas de préjugés,  ce n’est pas un doctrinaire, il n’est inféodé à aucune doctrine ni à aucune une morale, il admet dans le champ d’influences des choses hétérogènes, y compris des éléments issus de cultures populaires, illégitimes peut-être, ou non encore répertoriées.

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Skall pratique le recyclage. C’est son côté écologique. Mais comme il a un œil, un regard très sûr et qu’il sait parfaitement ce qu’il veut, il n’y a pas de danger que les scories du monde (les ordures de la "société du spectacle") envahissent son œuvre sans avoir fait l’objet d’un merveilleux traitement, d'une sorte d'alchimie qui en transfigure l'apparence.

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C’est en ceci que Skall est, non seulement moderne (comme Rodin ou le Facteur Cheval), ni post-moderne (comme les artistes du Pop-Art), mais post-post moderne… si l’expression peut avoir un sens.

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Si la pratique de la performance connote un certain mode d’action désormais daté (à partir des années 70, dans la filiation de John Cage, de Fluxus, de Marina Abramovic, etc.), sa propre interprétation de la performance est plus actuelle car elle est moins centrée sur elle-même (ou sur lui-même) ; elle ne constitue pas un centre, elle ne vise pas à atteindre une autonomie. L’œuvre n’est jamais la traduction littérale d’un concept (comme chez Yoko Ono, lorsqu’elle met à disposition du public une paire de ciseau, ou chez Chris Burden, lorsqu'il se fait tirer une balle dans le bras)… Elle est en relation étroiute avec le contexte dans lequel elle intervient, elle s’adapte ou, plutôt, elle répond (car il ne s’agit pas d’un simple agrément, d’une décoration, mais bien d’un dialogue), elle répond à son environnement en se saisissant de ce qui l’entoure pour en prolonger le propos, l’infléchir, le faire dévier.

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Le mot déviance est peut-être le plus approprié. En tout cas, lorsqu'il s’agit d’atteindre à une certaine incandescence et de faire crépiter les étincelles de son propre désir. Au théâtre, on emploie cette expression « brûler les planches ». Skall brûle les planches. S’il fallait vraiment le rapprocher d'un courant artistique, ce serait peut-être de celui des Actionnistes viennois, car ses performances instaurent toujours des rituels. Mais la comparaison s’arrête là, car Skall n'entre jamais dans la démesure de la violence. Son geste cathartique traque des résistances intimes, des blocages psychologiques ou des aveuglements de convention. Il ne s'en prend pas à la culpabilité générale d'un peuple ou d'une communauté…

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S’il fallait, au point où j'en arrive, s’attacher à le distinguer, à le détacher de ce dont il découle et dont il se distingue (car il ne s’agit évidemment pas d’en faire un suiveur), le fait que son art corporel ne soit pas, à proprement parler, un body art. Contrairement à Marina Abramowic ou à Gina Pene, Skall ne fait pas couler son son sang, il ne joue pas (que je sache) avec ses humeurs corporelles (urine, larmes, etc.), comme chez Jan Fabre. Il ne se met pas en danger volontairement (s’il lui arrive des accidents, il ne sont jamais volontaires), et ce qui le distingue radicalement des actionnistes, c’est qu’il n’y a pas, chez lui, de « cruauté » (dans le sens du « théâtre de la cruauté » d’Antonin Artaud). Aucune complaisance morbide, comme chez Otto Mühl, même si la somptuosité de l’un touche parfois, extérieurement, à celle de l’autre.

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Skall, "le dîner des Andouilles", Metz, 2003

Skall ne règle pas ses comptes avec le monde ou avec l’Histoire. Il n’y a pas, chez lui, cette acrimonie, cette détestation de la société, qui caractérise nombre des performeurs des années 70. Son art, d'ailleurs, n’est pas politisé ou, en tout cas, il ne s'en prend pas ouvertement au pouvoir des « idéologies ». Skall ne reproche rien à l’univers qu’il contemple et qu’il admire, il est parfaitement zen, comme un poisson dans l’eau. C’est un voyageur qui se trouve bien partout. Skall est en paix, il n’a rien à se reprocher. La culpabilité n’appartient pas à son vocabulaire, c’est une notion totalement absente de son travail.
S’il y a, malgré tout, une lecture politique de l’œuvre de Skall, c’est au niveau de l’expression de sa totale liberté. Pas de revendication, pas de militantisme, mais, peut-être, une sorte de compassion bouddhiste, une solidarité avec d’autres qui, comme lui, se sont par choix ou par fatalité affranchis des règles d’une « normalité » bourgeoise qui s’impose trop souvent sous une forme contraignante : moralité, dogmatisme, idéologie. Émancipée de cette normalité, il n’y a pas vraiment non plus de mise en scène de son identité (à la manière d’un Leigh Bowery, dont on serait toutefois tenté, parfois, de le rapprocher).

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Pas de mouvement panique (comme chez Arrabal ou Paul Mac Carthy). L’art de Skall est toujours aimable ! Joyeux, ludique, élégant !

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Skall ramasse des objets qui lui plaisent.
Skall enfile des perles.
Skall s’applique et se concentre.

Il passe un temps fou sur les détails. Skall est un maniaque. Un obsessionnel.
Il manifeste son hédonisme, un sens inné de l’art de vivre. Ce faisant, Skall ne nous dit pas que « la vie est belle » ni, encore moins, qu’elle est facile. Mais il nous apprend à la prendre du bon côté, à l’améliorer, à la voir autrement, sous des aspects imprévisibles, insolites et, par conséquents précieux.

La préciosité de Skall (autre titre possible)
Le beau est rare. Le beau est bizarre.

Skall est-il lui-même un sage ? Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il aime la sagesse.
Skall est, à la lettre, philosophos.


3. Lignes de conduite

Skall est un lieu de devenir. Sa conduite est traversée par des lignes de fuites.

Rien n’est jamais tout à fait prémédité. L’art de la performance, chez lui, comporte toujours une part d’improvisation. Il s’agit de se mettre dans un état et de laisser advenir les choses. Comme on le voit dans cette série de photographies que j’ai prises au Centre d'Art du Parc Saint-Léger,  à Pougues-les-Eaux, où il intervenait dans La Cure II, à l'invitation de Frédérique Lecerf.

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La performance n’a pas été vue par beaucoup de personnes, qu'importe ! Sans doute, la préparation de la performance est-elle déjà la performance. C’est un processus de transformation. Au sens propre : une métamorphose.

Le premier de ces devenir, le plus simple, s'exprime par une conduite de nudité. Mais chez Skall, la nudité, elle n’est jamais provocation brutale, elle affleure simplement, par la force des choses…

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Il ne s’agit pas simplement de se mettre nu (comme les beatniks ou les hippies des années 60). Ce n’est pas l’affirmation de la puissance primitive du corps. Le retour à la nature ou quelque chose comme ça… Non, chez Skall, le corps est toujours marqué, au moins d’une légère couche de peinture corporelle (comme chez les Noubas du Niger par exemple).

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à gauche, les Noubas, à droite, Skall

L’homme naturel n’existe pas. Même s’il est proche de la nature (comme on le voit dans ces photos), il porte sur lui des signes, des marques qui indiquent son appartenance à un monde symbolique. Toutefois, ce symbolisme ne semble pas obéir à un code très précis. Tout au plus y trouvera-t-on des allusions, des évocations de choses connues.

Deuxième devenir : Le corps strié : peinture, scotch, rubans, fil, paillettes, plumes, etc.

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Troisième devenir : animalité ("devenir animal" comme dirait Deleuze).

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Avec des branches et du papier d’aluminium, Skall devient une sorte de cerf (hommage à l’artiste Frédérique Lecerf à l’invitation de laquelle il intervient ? )
Ou, avec des plumes, il devient une sorte de faisan royal, un paon qui fait la roue.

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Mythologie de l’animal, l’Egypte, l’Inde (sa dévotion pour Ganesh, mi-homme mi-éléphant…).

L’animal dans sa flamboyance. L’animal divinisé (le paon fait la roue, le cerf est en rut, le faisan entame une parade nuptiale…

L'animal capturé, pris au piège. L'animal épuisé…

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Quatrième devenir : Devenir nuage
Éloge de la légèreté
Le bal des nuages, à Pougues-les-Eaux, au Parc Saint-Léger.

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La danse comme processus d'allégement. Skall, un corps dansant.
La danse, ce n’est pas seulement les figures du corps. La position. C’est aussi l’ouverture de l’espace par le mouvement du corps. Ainsi des danses primitives, dans les rituels toujours plus ou moins secret d’initiation. Il n’y a pas d’autre espace de jeu que celui que génèrent les participants. Et la danse immobile de Nietzsche…

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Skall est léger. Ennemi de toute pesanteur.

Il éprouve la tentation de la blancheur, du subtil parfum des lilas blancs, de la décomposition des lys… Il rejoint parfois le monde incolore des larves souterraines…

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Il assume parfaitement la dimension décorative de son art, qui est un embellissement et une sorte d’ascension (ou d’assomption). Les sculptures de Skall s'envoient en l'air, au risque de chuter et de se briser dans un tonerre cristallin et magique.
Plus il s'englue dans la couleur ou dans la matière, plus Skall est léger.

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Plus il s'enrubanne de scotch (variations : film plastique, papier d’aluminium, rouleaux hygiéniques, etc.), moins il est entravé.

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Devenir numéro cinq : L’humour de Skall
Car il n’est pas question de laisser quelque « discours » que ce soit empoisser son geste. Celui-ci est sans cesse démystifié. Souvent avec humour, comme dans ces hommes fleuris, ou lorsque Skall se laisse pousser des cornes en bananes et persil.

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Cet humour, qui peut prendre des formes ahurissantes, voire un peu effrayantes (les chaussures en poulet, lors de sa performance du "Dîner des Andouilles" au CIPAC de Metz, en 2003), reste, à mon avis, soumis à cet esprit de légèreté.

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Conclusion. Un art performatif et jubilatoire.

Esthétique de l'extase. De même que Skall prend manifestement du plaisir à la fabrication méticuleuse des objets, la préparation de la performance est un processus jubilatoire. Souvent, ce moment est public. Il est déjà performatif.
C’est-à-dire que la performance vit sa propre vie, à laquelle l’artiste est étroitement associé, mais exactement au même titre que le public. La performance se développe, elle s’invente, se formalise. Elle connaît son climax, et puis elle se défait, se décompose jusqu’à une sorte d’épuisement final. La fatigue se lit alors sur les traits de l'artiste. Parfois aussi sa déception de n'avoir pas été vu, comme il l'aurait voulu, par une assistance distraite ou blasée. La vie serait trop belle si une performance suffisait. Si le geste avait été perçu et compris. Et, en même temps… cela n'est pas possible. L'art de Skall est un éternel recommencement.

Il serait facile de plaquer là-dessus des grilles anthropologiques et de parler de transe. C’est effectivement une sorte de transe chamanique ou, du moins, un excursus, un aller-retour, une exploration d’un état paradoxal, extraordinaire.
Je ne sais pas ce que c'est, bien sûr. On ne peut pas le savoir. Mais, en tout état de cause, ce n’est pas une mise en scène. S'il y a de la théâtralité dans les performances de Skall, ce n'est pas dans le sens d’une représentation. Skall est dans le présent, il ne joue rien. Son public le sait bien, qui n'assiste pas à un spectacle, mais qui est invité à une sorte de communion ou de symbiose.

Il n’y a pas non plus de mimésis, au sens aristotélicien. C’est-à-dire que, s’il y a théâtre, ce n’est pas un art à deux temps (comme dit le philosophe Henri Gouhier). L’image adhère totalement à ce qui est en train de se passer, elle ne renvoie jamais à un texte sous-jacent, préexistant.
Donc, l'art de Skall est une pure image. Une surface sans profondeur… Sans métaphysique, sans idéologie (tout en jouant, parfois, avec les signes d’une mythologie, mais plutôt pour leur valeur plastique, décorative, que pour leur valeur de symboles)…

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Du moins, me semble-t-il…

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LA PERFORMANCE DE CHÂTEAUROUX

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