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AUTOUR D'ICI : le blog d'olivier goetz
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30 mai 2009

Les dollars de Gianni Motti

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La Synagogue de Delme est un ancienne synagogue lorraine (57) transformée, depuis plusieurs années en centre d’art contemporain.

Le charme du lieu tient à son improbabilité. Perdu en pleine cambrousse, l’identité de son architecture renvoie, de façon explicite, à sa fonction cultuelle d’autrefois.

En se rendant dans ce bourg perdu, éloigné de plusieurs dizaines de kilomètres des métropoles avoisinantes, on ne peut s’empêcher de penser que vivait là, autrefois, une communauté juive. Autrefois, car la synagogue s’est trouvée désaffectée, rendue à un usage public mais désacralisé.

Du cultuel, on est passé – par Dieu sait quels détours – au culturel.

Le dommage historique (lié, comme on le pense, à la situation des Juifs sur cette portion de territoire durant la dernière Guerre) est donc inscrit dans la manière dont le lieu a trouvé, ici, une nouvelle vocation ; l’usage artistique qui en est fait pouvant apparaître comme une sorte de compensation symbolique (il aurait été dommage, en effet, de le détruire ou d’en faire un garage…).

Les artistes invités à Delme choisissent de tenir compte ou non de l’identité primitive de la Synagogue.

Les expositions peuvent, ainsi, être classées en deux catégories : celles qui jouent avec la signification de l’architecture (sur un mode plus ou moins compassionnel), et celles qui considèrent seulement la particularité de l’espace (remarquable en ceci qu’il n’a rien d’un espace classique d’exposition ). Pour s’en sortir, car le lieu, religieux ou non, possède une puissance remarquable, les artistes interviennent généralement in-situ. Il ne serait pas raisonnable de chercher à y exposer, purement et simplement, des œuvres d'atelier, qui n’auraient pas été pensées pour cet espace donné.

Le bâtiment possède, en outre, comme dans toute synagogue, un étage (réservé aux femmes pendant le culte) ouvert sur le rez-de-chaussée, d'où l'on pouvait suivre les cérémonies..

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Disons un mot de la présente exposition (elle vient d'être inaugurée, le 29 mai 2009).

Elle est consacrée à Gianni Motti, artiste conceptuel italien qui vit et travaille en Suisse. Personnage mystérieux, Motti brouille les pistes, mélange allègrement le vrai et le faux, charmant ou agaçant, charmant en agaçant…

Motti est un artiste renommé. Il a le génie de la situation, maniant l’humour avec un sens aigu de la provocation. Gianni Motti se glisse dans les médias, apparaît subrepticement sur des photos de presse, prend en charge des événements qui, de toute évidence, le dépassent mais qu'il a le "culot" de s'approprier.

C’est lui, par exemple, qui convia le public à assister à une éclipse comme s’il en était l’auteur.

Lui, aussi qui revendique les tremblements de terre, se faisant photographier avec des panneaux où il s’en rend personnellement responsable. La devise de Gianni Motti est « être au bon moment au mauvais endroit ».

On lui doit également Big Crunch Clock, une horloge numérique qui compte à rebours le temps qui nous sépare de l’extinction du soleil (5 milliards d’années, je crois). La « beauté » de l’œuvre vient, à mon avis, de ce que les chiffres qui se trouvent à droite de l’horloge électronique (les centièmes de seconde) défilent à une vitesse vertigineuse, tandis que ceux qui, en tête du nombre, se trouvent à gauche demeurent désespérément immobiles. Dynamisme contrarié, le défilement du temps si vif et si insaisissable (tel du sable dans le goulot du sablier) s’englue et s’arrête carrément, donnant à voir (sinon à percevoir) une chronologie inhumaine, à l’échelle des astres et de l’univers…

Motti

 

Dans la Synagogue de Delme, Gianni Motti a simplement utilisé le budget de production de l’exposition (quelques milliers d’euros) qu’il a converti en billets de 1 dollar, qu’il a dispersé dans l’espace du rez-de-chaussée (évidement inaccessible aux visiteurs). "Une exposition de temps de crise", dit-il. Et, lors de la présentation (du vernissage), de remercier les auteurs de la crise, sans qui la réalisation de cette œuvre n'aurait pas été possible…

 

 

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Cynisme ? Oui, mais surtout, simplicité et efficacité.

Tel serait au fond, l’alpha et l’oméga de l’art de Gianni Motti.

Une idée claire (un « concept » comme on dit, dans l'idiolecte de l'art contemporain) et le minimum d’effort dans la réalisation.

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Quand j’étais petit, je fréquentais une vielle artiste qui m’impressionnait. Elle avait cette formule : « il ne faut pas que ça sente la sueur ». Elle l’appliquait à la peinture, la sienne, d'abord, puis à toute la peinture. Je trouve remarquable qu’on puisse s'en servir pour des formes d’art non rétinien.

 

Mais tout ceci est à la fois vrai et faux. Un artiste contemporain pourrait très bien faire une œuvre avec de la sueur. Jan Fabre dessine bien avec des larmes, du sang ou de la pisse…

Philippe Meste, après avoir fait des "aquarelles" en éjaculant sur des photos de magazine a fini par réaliser cette œuvre qui m'émeut et que j'admire, le spermcube (un mètre cube de sperme) !

Peut-être est-il temps de réhabiliter la valeur des humeurs dans l'œuvre d'art contemporaine ?

 

Je n’ai pas de commentaire à faire sur l’installation de Delme. Je la trouve parfaitement réussie, dans un certain sens. Mais, je la regarde et je n’éprouve rien. Je la trouve donc également totalement inutile. L’humour en œuvre, le jeu sur la « Crise », le cynisme de Motti, ne me touche pas. Je me demande si l'artiste, à la fin de l’expo ramassera les billets et les mettra sur son compte en Suisse. Ça ne me choquerait pas, mais ça me décevrait. Peut-être n’est-ce pas son intention. Peu importe.

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Mais je reviens au caractère architectural du lieu. Inonder de dollars une synagogue (fût-elle désaffectée, et à plus forte raison!) prête à une interprétation sournoise. Dieu sait combien l’antisémitisme a joué – et joue encore - sur l’identification Juifs = capitalistes.

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Si la synagogue de Delme n’est plus une synagogue, c’est,une conséquence objective de cette logique antisémite. Revenir, même involontairement sur une imagerie ambiguë (synagogue = coffre fort) est donc pour le moins maladroit. Qu’en pense l’artiste ? Il faudrait le lui demander. Je n’ai pas pensé à le faire. Ou, plutôt, je n’en ai pas eu envie, car son œuvre était suffisamment évidente pour ne susciter de question et  aussi parce qu’il me semble rait inimaginable qu’une intention antisémite quelconque ait pu animer le geste de l'artiste.

Du reste, je ne suis pas sûr que Gianni Motti, malgré son look de quinqua contestataire puisse être considéré comme un artiste engagé, qu’il défende un propos ou des positions. Il me semble plutôt avoir fait de sa ruse (car il est rusé, le matou !) un système, son système, jouant opportunément avec les signes qui traversent notre actualité. Au mieux, on peut penser que son travail, dans son économie remarquable, est destiné à susciter des commentaires (comme le mien, ici), afin d’huiler le mécanisme mis en œuvre. Encore une fois, je ne vois rien à y redire. Mais, avec ses airs de ne pas y toucher, d’en faire le moins possible, il est possible que l’artiste laisse à l'espace d'exposition une signification qui lui échappe, que sous couvert d'intervention, d'installation, de happening, une représentation fasse retour, sinon directement de son propre inconscient, du moins d'une sorte d'inconscient collectif (dont on dit qu'il n'existe pas, mais appelons ça comme on peut…) et que celui-ci ne soit pas des plus reluisants.

Habitué à recevoir des propositions « originales », le public de la Synagogue de Delme accepte parfaitement cette invasion de billets verts, d'ailleurs assez satisfaisante sur le plan plastique, plaisantant sur le « casse du siècle », se référant à ces films de série B où les billets s’échappent d’un avion ou flottent dans l’eau des piscine  (Delon, Gabin…) pour la plus grande jubilation du spectateur…

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Suis-je le seul à voir là la réminiscence (encore une fois, sans doute inconsciente et involontaire) d’une caricature raciste et meurtrière ?

Dans ce cas, comme me le dit quelqu'un, un ami pourtant, serais-je, moi, l'antisémite ? Ce serait là une lecture bien déplorable d'un événement somme toute banal dans l'actualité artistique de ma région.

 

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Commentaires
M
Suis d'accord avec toi. Je crois même que l'ambition de Motti était de choquer en jouant justement cette corde, que c'est le seul sens possible de cette oeuvre, mais qu'il n'a pas été perçu, compris. Je ne veux pas en faire un artiste génial parce qu'incompris, il s'agit plutôt d'une oeuvre de provocation ratée.<br /> <br /> Ce n'est pas la faute d'un quelconque sérieux des spectateurs, trop "impliqués" par le destin des juifs et n'accédant pas, paradoxalement, au sens voulument scandaleux de son installation, mais le lieu même, une synagogue, trop fort pour ces billets.<br /> <br /> Car si les juifs ont été (et sont toujours souvent) assimilés à l'argent, au capitalisme, la conscience collective les associe aussi au culte, à l'observance de principes religieux strictes, bref à une forme ancienne de grande spiritualité. Placer dans une synagogue des dollars ne fonctionne pas pour cette raison, tant il est évident de l'extérieur qu'un juif pratiquant place sa foi au dessus de tout. L'imaginaire du juif rabbin, du juif vivant dans la crainte de Dieu, se révèle plus puissant que celui du juif usurier, banquier, et leur confrontation semble incongrue, inconséquente. C'est finalement l'enseignement que l'on peut tirer de cette installation (un peu racoleuse aussi à mon goût. Le dollar, c'est la monnaie de l'art du 20ème siècle).
L
Henri Verneuil, c'est un petit peu plus que de la série B, même s'il n'a pas les honneurs des universitaires.
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