Bibliothèque
Alors, voilà.
Je feuillette des livres, pour faire de l’ordre, en fait, je déplace du désordre, soulève de la poussière, bref… Je tombe sur cette image qui me fascine :
Je ne comprends pas tout de suite
pourquoi.
Cette vieille photographie montre
la bibliothèque du château de Broglie, autour de 1900. Le livre d’où je
l’extrais est une curiosité improbable, Comment j’ai vu 1900, de la comtesse Jean de Pange, de lecture distrayante ("j'ai l'âge de la tour Eiffel" dit la comtesse…) et instructive, au demeurant. La photo se trouve dans le troisième
tome : Confidence d’une jeune fille.
Bien sûr, il n’est
pas question de relire ce livre dont, à vrai dire, j’ai oublié ce qu’il raconte.
Seul retient mon attention cette image qui me plonge dans un abîme de rêverie.
Ce qu’elle évoque pour moi ?
Une très forte impression d’enfance.
Je suis avec mon père. Il m'entraîne, à contre cœur car je suis très effrayé, dans une sorte de
ménagerie installée sur la place de la République, à Metz (il me semble qu'il existait alors
des sortes de structures dont l’usage m’échappe tout à fait aujourd’hui). Il y
a là des charmeurs de serpents (est-ce que c’est possible ? ça remonte au
début des années 60). Je regarde les dompteurs orientaux dans une poussière ocre qu'éclaire les rais obliques du soleil couchant. C’est l’été, ou l’automne. Je dois avoir cinq ou six ans.
Quel rapport ? Aucun,
apparemment. Association libre. Surréaliste. Une odeur de temps passé qui fait surface.
Tout en écrivant ces lignes, je
réalise qu’il y a aussi une analogie entre le contenu de la photographie et
l’activité qui l’a fait resurgir devant mes yeux (ranger sa bibliothèque, ce
grand fantasme !). Est-ce parce que je suis cloué chez moi par la grippe (peut-être la "A") ?
Est-ce que les drogues médicinales, les sirops notamment, sont légèrement
psychotropes ?
D’autres souvenirs, plus récents, se superposent au précédant. En Grèce, dans les années 70, je passe devant ces grands ateliers d’artisans, menuisiers ou ferrailleurs, dans les rues d’Athènes, du Pirée ou de la Cannée. J'y vois des sorte d'ashrams laïques, de astes salles de méditations (j’étais mystique, alors) où les machines elles-mêmes semblaient psalmodier des mantras… J’aimerai qu’un scénographe contemporain restitue, sur la scène d’un théâtre, cette ambiance particulière que je retrouve aussi dans ce tableau de Carl Spitzweg, Le rat de bibliothèque :
Donc, ce qui me retient, et ce
qui me point (comme dirait Roland
Barthes) dans cette photo, ce n’est pas je ne sais quel détail c’est son atmosphère, l’espace, l’envergure de cette bibliothèque.
« C'est là que je voudrais vivre… »
Aussi, est-ce là que je me situe, fiévreux, en ce moment ; oscillant entre deux réalités incommensurables (ma pauvre bibliothèque désordonnée et celle, fastueuse, du château des Broglie), caressant ces fantasmes ou ces souvenirs-écrans qui n’entretiennent eux-mêmes, entre eux, que des liens hasardeux, relevant d’une logique tout à fait onirique.
J’aime les livres, mais je n’ai jamais vraiment été bibliophile. Je ne fais pas la chasse aux belles reliures, aux éditions originales, aux autographes (même si ceux que je possède me ravissent ).
Au fond, je suis plutôt un amateur de bibliothèques. Bibliothèquophile, en somme (mais le mot n’est pas joli). Le terme exact est, j'en ai peur, "rat de bibliothèque".
Aussi, décidai-je de faire le portrait de ma bibliothèque. Et de la prendre en photo.
- Ma bibliothèque me ressemble (ce n’est pas forcément flatteur).
- Voilà une page bien vaine, et
un peu narcissique aussi, vous ne trouvez-pas ?
- Bah ! Qui sait ? Si
mon appartement prenait feu… Je pourrai toujours la montrer à mon assureur…
PS La bibliothèque d'Alberto Manguel, à Mondion
et l'entretien qui l'accompagne.