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AUTOUR D'ICI : le blog d'olivier goetz
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5 juillet 2010

LA VILLE À LA LETTRE

Imaginez maintenant…


 

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"Imaginez maintenant", Zac de l'amphithéâtre, en face du Centre Pompidou - Metz (4 juillet 2010)

À l'invitation du Centre Pompidou - Metz (et d'Anaïs Lellouche), je me suis exprimé, dans le cadre du projet national "Imaginez maintenant", sur la question "Traversée - Fiction urbaine". Je garde trace, ici, du contenu de cette intervention et des images qui l'accompagnaient…

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 Toute ville peut s'enorgueillir de posséder (?) ses propres célébrités littéraires. Elles lui confèrent ce qu'on nomme, un peu facilement aujourd'hui, une "identité". Lui appartiennent-elles pour autant ? Du moins, en entretient-elle la mémoire, la récupère, l'invente au besoin… Car ces figures célèbres constituent un capital symbolique qui la grandit, l'embellit, lui donne de la valeur et de la puissance. On pourrait presque suivre le cours de cette valeur ajoutée (chute du Déroulède, montée du Koltès, etc.)…

 Il existe des liens  particuliers entre une ville (par exemple, Metz) et les écrivains qui y sont nés ou qui l’ont fréquentée. S’agissant de littérature, l’imprégnation de la ville par l'écrivain ou de l'écrivain par la ville  est forcément riche de sens, c'est un échange, une relation de réciprocité (un jeu avec les signifiants urbains et littéraires). Au fond, la ville cultive ses écrivains parce que ses écrivains la cultivent (dans tous les sens du mot).

Supplément d’âme. Enchantement de la réalité, du quotidien banal. Que ferait une ville comme Yvetot, par exemple, si elle n'avait pas Flaubert ?

Il est intéressant, dès lors, de réfléchir, de différentes points de vue (politique, touristique, artistique), à   l'apport de cette présence/absence des écrivains à l’imaginaire des villes qu’ils ont fréquentée.s Il ne s’agit, bien sûr, ici, que d’esquisser une réflexion.

Une ville est d’abord une ville (on y habite, on y travaille…). Mais, c’est aussi un musée à ciel ouvert, un lieu de mémoire de l’art et de la littérature.

Une carte secrète (jusqu’à ce que les guides, l’office du tourisme, ou les compagnies de bus s’en emparent) se dessine : elle relie entre eux différents lieux, maisons natales, des écoles, collèges, monuments…

Savoir que le poète Yvan Goll (1891-1950) a été élève au Lycée de garçons (Fabert), par exemple… Ou que le dramaturge Bernard-Marie Koltès a fait ses classes au Collège Saint-Clément (Conseil Régional) nous intéresse.

Et moi, qui ai été élève à Fabert, pourquoi ne suis pas Yvan Goll ? Moi, qui ai fréquenté le quartier Sainte-Thérèse, pourquoi ne suis pas BMK ?

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documents inédits (collection privée) : l'une des premières adresses de Bernard-Marie Koltès

Reconnaissance. Une ville s’aperçoit qu’elle a abrité un grand écrivain. Certains établissements finissent par porter son nom. On baptise une rue, un square. Généralement, au terme d’un parcours assez compliqué. Le Lycée Georges de la Tour devait s’appeler Paul Verlaine, au milieu du XXe siècle, mais on a jugé qu’il serait immoral de donner le nom d’un dépravé à un lycée de jeunes filles ! Ce qui permet d’avoir, aujourd’hui, une Université Paul Verlaine (pas pour longtemps, puisqu'elle va devenir Université de Lorraine). Et l’Espace (c’est horrible, ce mot d’espace !) Bernard-Marie Koltès. Lorsque le théâtre a été créé, il y a une douzaine d’années, personne ne voulait donner le nom d’un inconnu (pour les universitaires eux-mêmes qui n’avaient pas encore pris la mesure du phénomène), qui plus est communiste et homosexuel, à ce lieu académique. Cela s’est fait en 2009 (alors qu’il y a pléthore de salles Koltès en France. Un peu comme les églises Jeanne d’Arc qui se sont mises à fleurir après sa canonisation, en 1920 !) Je ne suis pas sûr que les écrivains aient toujours a gagner de cette reconnaissance qui leur est accordée sur le tard (sans parler de ces affreux bus qui voyagent avec des citations sur leurs flancs dont on se lasse très vite).

Mais, en même temps, je dirais que ce n’est pas grave. C’est sympathique (or, nous vivons à l’époque du « sympathique », du « sympa »…)

 Un cas à part : la Maison de Rabelais (qui n’est pas la maison de Rabelais). Elle l’est et elle ne l’est pas. C’est une tradition, presque une légende. C’est surtout une bonne terrasse de café !

Pour les initiés. Je connais bien ma ville : je peux vous montrer le buste de Bossuet dans la cathédrale.

Les vers d’Ausonne dans le péristyle de l’Hôtel de Ville…

C’est un autre rapport à la littérature. Ça ne passe pas par une vraie lecture. C’est un autre type d’inscription…  Il y a des plaques sur des maisons, des noms de rue ou de squares, des anecdotes, des témoignages… Des mots tissés avec la pierre.

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Le buste de Paul Verlaine, en contrebas de l'Esplanade

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Là où tel écrivain est né (Paul Verlaine, en face du Palais de justice : me plaît infiniment que cette plaque se trouve sur un établissement gay : l’Appart !), ou il a habité, travaillé ou, peut-être, seulement médité (comme Barrès, Colette Baudoche), écrit son œuvre. (mon grand père disait, quand j’étais petit, c’est ici qu’habitait Colette Baudoche…) La tombe de l’écrivain (pas à Metz, à ma connaissance, les écrivains y naissent ou y habitent, ils n’y meurent pas, pourquoi ?)… 

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.Rue des Piques, sur la façade du restaurant À la ville de Lyon, l'inscription : "En l'an 1907, dans cette maison, Maurice Barrès a médité Colette Baudoche". L'une des plus belles plaques commémoratives que je connaisse

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L’homme et l’œuvre. D’un côté les livres (dans les bibliothèques et les librairies), de l’autre les objets (dans les musées, les collections ou, simplement, dans l’Histoire littéraire). Pourquoi ces objets nous fascinent-ils ? Ainsi, dans l’exposition Chefs d’œuvre ? du CPM : la canne de Balzac, le fauteuil de Mallarmé… De toute évidence, c'est de magie qu'il faut parler. De bonne magie, de magie efficace…

Traces imaginaires. Mais l’inscription de l’écrivain (ou de l’écriture) est à souvent immatérielle. Ce sont des textes, mais aussi des souvenirs, une rumeur…

Deux questions :

* Le rapport de l’écrivain à la ville : il y naît, il y grandit, il la quitte. Il la célèbre, il la dénonce, il l’ignore…

Le natif n’entretient pas forcément, par rapport à sa ville, beaucoup de curiosité. La ville est là, elle est comme elle est. L’imaginaire s’éveille surtout lorsqu’il l’a quittée.

Par exemple, Maurice Barrès ou François de Curel (1854-1928) peuvent on eu un rapport de frustration par rapport à une ville annexée (de 1870 à 1918) dont ils se sont trouvés exclus. Inversement, Ernst-Moritz Mungenast (1898-1964), Messin allemand, ressent le même sentiment de perte après que la vile est redevenue française. Au fond, l’exil est la meilleure façon de mythifier un lieu. « Venise, c’est là où je ne suis pas » disaist, je crois, François Mauriac.

* Le rapport des étrangers à la ville, lorsqu'ils enchantent leur séjour (de longue ou de courte durée) d’une référence littéraire. Soit que les pages  qu’un écrivain consacre à des lieux identifiables les fassent rêver, soit que l’on considère que les lieux sont réellement hantés par la présence fantomatique des écrivains. Aux beautés de l’urbanisme (architecture, espaces verts, rivière…) s’ajoutent la caution intellectuelle ou artistique d’un destin littéraire. Par exemple, la Moselle qui est une rivière assez ordinaire devient magique si on y associe le poème latin d’Ausone (Idylle X : Moselle)

Salut, fleuve béni des campagnes, béni des laboureurs ; les Belges te doivent ces remparts honorés du séjour des empereurs ; fleuve riche en coteaux que parfume Bacchus, fleuve tout verdoyant, aux rives gazonneuses : navigable comme l’océan, entraînée sur une douce pente comme une rivière, transparente comme le cristal d’un lac, ton onde en son cours imite le frémissement des ruisseaux, et donne un breuvage préférable aux fraîches eaux des fontaines : tu as seul tous les dons réunis des fontaines, des ruisseaux, des rivières, des lacs, et de la mer même, dont le double flux ouvre deux routes à l’homme. Tu promènes tes flots paisibles sans redouter jamais le murmure des vents ou le choc des écueils cachés. Le sable ne surmonte point tes ondes pour interrompre ta marche rapide, et te forcer de la reprendre ; des terres amoncelées au milieu de ton lit n’arrêtent point ton cours, et tu ne crains pas qu’une île, en partageant tes eaux, ne t’enlève l’honneur mérité du nom de fleuve ! Tu présentes une double voie aux navires, soit qu’en se laissant aller au courant de ton onde, les rames agiles frappent ton sein agité ; soit qu’en remontant tes bords, attaché sans relâche à la remorque, le matelot tire à son cou les câbles des bateaux. Combien de fois, étonné toi-même du retour de tes eaux refoulées, n’as-tu pas pensé que ton cours naturel s’était ralenti ? L’herbe des marécages ne borde pas tes rives, et tes flots paresseux ne déposent point sur tes grèves un limon impur. Le pied qui t’approche ne se mouille jamais avant d’avoir effleuré tes ondes.

Le cas Koltès.

Metz. Ville provinciale (à ce titre, l’écrivain, la plupart du temps, n’y reste pas).

Ville marquée par l’histoire. Ville annexée. Longtemps ville de garnison (l’Artilleur de Metz, mais il enlève son pantalon !)

Pour Koltès, la révélation de la violence et de l'injustice, pendant la guerre d’Algérie (son père est militaire) Il voit les cadavres des Algériens liquidés par les parachutistes du général Massu flotter dans la Moselle.

Koltès déteste Metz (mais il y revient parce que c’est la ville de sa mère).

Il règle ses comptes avec Metz dans Le Retour au désert. Une petite ville dans l’est de la France. La famille Serpenoise. Réac, colonialiste. Collusion avec les puissants.

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La liste des personnages du Retour, les noms sont empruntés à des toponymes messins. 
Rue Serpenoise, quartier de Queuleu, du Sablon, de Plantière. Le village de Rozérieulle…


Koltès cherche l’altérité. Autres pays, autres races… Aussi une altérité urbaine. L’autre de Metz, c’est New-York, Paris. Mais à New-York, surtout les hangars abandonnés des bords de l’Hudson qui sont, dans les années 70, un énorme lieu de drague homosexuelle. À Paris, Barbès, parce que, dit-il, il y a moins de blanc.

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Les entrepôts abandonnés sur les bords de l'Hudson, à New-York, dans les années 70 
énorme lieu de drague et de baise homosexuelle. Cette photographie était sur sa table lorsqu'il écrivait Quai Ouest. 

En 2000, Armando Llamas visite Metz.

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Armando Llamas (1948-2003) à l'Abbaye des Prémontrés (Photo O.G.)

Il écrit L’Amour renaît des os brûlés des sodomites (à cause du Mont Saint-Quentin, lieu de supplice pour les sorcières du moyen âge)… Projet malheureusement interrompu par la mort. Il en reste des fragments inédits et une série de photographie dans laquelle il est démontré que Koltès n’a pas vu  (pas su voir, pas pu voir…) qu’il y avait à Metz tout ce qu’il est parti chercher ailleurs. Des endroits interlopes, des lieux de drague, les étrangers…

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Trois photos inédites de la série consacrée à Metz par Armando Llamas

Une ville qui veut valoriser la présence de l’écrivain dans ses murs (dans une perspective touristique) doit réussir : 1°) à donner de la lisibilité à un ensemble complexe, rapport confus et lacunaire à la réalité ; il en résulte forcément une sorte de mythologie plus ou moins crédible ; 2°) prendre de la distance avec l'événement ; historiciser les contradictions (par exemple, lorsque Koltès dit détester Metz ou lorsque Barrès décrie le nouveau bâtiment de la gare en disant qu’il ressemble à une gigantesque tourte aux épinards) de manière à les rendre pittoresque et séduisantes (un peu comme Vienne et Thomas Bernhardt, par exemple). Absorber le nationalisme et l'antisémitisme de Barrès, la germanité de Mungenast, le communisme et l'homosexualité de Koltès. 

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réparation ou récupération ? L'Année Koltès, à Metz, en 2009

 Dans une perspective intertextuelle ou inter-artistique, on peut également poser la question de l’inscription de nouvelles interventions signifiantes (littéraires ou plastiques) dans le champ urbain. (prendre l’exemple du travail des étudiants de l’école des beaux arts pendant l’année Koltès), ou, il y a quelques années, le projet transdisciplinaire « Rue des Jardins » mené avec des étudiants du département « Art » de l’UPV-M (projet Goetz/Huesca/Kœsler), en partenariat avec la Communauté Israélite de Metz). 

 

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