Spectacles du mouvement dans l'art de la Belle Epoque
1. La belle époque de l'art
L'omniprésence de la dynamique du mouvement caractérise l'art de la Belle Époque. Par
exemple, la ligne dite en « coup de fouet », qui sert d’emblème à la
ville Nancy (elle est représentée sur la pancarte indicatrice sur l’autoroute à
l’entrée de la ville), suffit, semble-t-il, à résumer toute l’architecture,
l’ébénisterie, la pâte de verre et l’artisanat de cette fameuse École elle-même
très représentative d’un style esthétique de la Belle Epoque.
Une telle caractéristique est immédiatement reconnue et comprise par le grand public.
Ce sont quasiment les
mêmes ondoiements qui parcourent les façades de Nancy, les vases et les meubles
de Gallé et, d’autre part, la chevelure de la Danaïde de Rodin, la danse serpentine de Loïe Fuller, les
robes de Poiré.
Danaïde (Rodin), Peggy Guggenheim dans une robe de Poiret (Man Ray)
Affiche de Jules Chéret pour la Loïe Fuller
Et il ne faut pas tirer loin la corde pour ramener dans cette
ensemble dynamique les chronophotographies de Muybridge et de Mairet, la
peinture de Duchamp (Nu descendant l’escalier) et celle des futuristes italiens.
Muybridge, chronophotographie
Marcel Duchamp, Nu descendant l'escalier
Giacomo Balla, Vitesse d'une automobile
Enfin, il faut
associer l’invention technique et esthétique du cinématographe lui-même, qui
naît en cette queue de siècle en se donnant, à proprement parler,
comme une peinture ou une inscription du mouvement.
Cette identification du
mouvement à l’art d’une époque pour en définir le style relève évidemment d'une forme de lieu commun.
On la retrouve,
d’ailleurs, à d’autres moments de l’histoire de l’art, notamment lorsqu’on
tente de qualifier stylistiquement l’art baroque.
La formule : « l’art de la Belle Epoque, c’est
le mouvement », possède néanmoins des avantages. Elle permet de
faire abstraction des discriminations savantes imposées par une conception trop scolaire
de l’histoire de l’art. Pour comprendre un climat
artistique, une ambiance, voire le
charme d’une époque (de la Belle Epoque, en l’occurrence - qui ne situe
pas à des années-lumière de notre propre expérience-), mieux vaut, en fin de compte, un gros cliché transparent que ces rationalisations systématiques qui tentent de cliver le paysage artistique à l’aide d'oppositions aussi théoriques que dogmatiques. Le cliché, si stéréotypé soit-il, rejoint une attitude plus réceptive, proche, au fond, de celle du spectateur ordinaire de la dite époque. Lequel, qu’il fût dépourvu de tout préjugé ou, au
contraire, embarqué dans la profusion des discours partisans qui animent la
société, faisait forcément une expérience globale de ce qu'on pourrait appeler le spectacle de son époque.
L’affirmation « l’art de la Belle Epoque, c’est le mouvement » place, sur le même plan, Rodin, les Ballets Russes, Isadora Duncan, l’aéroplane, les expositions universelles et coloniales, le premier Charlie Chaplin, les ombres animées du Chat Noir, les Futuristes, Les Folies Bergères, Edmond Rostand, les marionnettes d’Alfred Jarry, les Impressions d’Afrique de Raymond Roussel, les « chahuteuses » de Montmartre, Pelléas et Mélisande, Yvette Guilbert, La Traumdeutung de Freud, les croisières transatlantiques et le Titanic, et… tout ce qu’on voudra !
Il faudrait rebattre les cartes, afin de faire apparaître une autre donne que celle qui s’est imposée dans l’Histoire de l’art officielle (où la Belle Epoque, d'ailleurs, n'apparaît jamais en tant que telle, une telle appellation étant déjà, en elle-même, promesse d'un éclectique chaos. Cette version officielle de l’Histoire (opposant les avant-gardes à l’art officiel, la pureté des créateur désintéressés au mercantilisme de l’industrie culturelle, etc.) n’ayant d’autre intérêt de justifier certains parti-pris esthétiques et sociaux basés sur des positions dominantes à un moment donné mais susceptible d’être contestées à partir d'une autre expérience et, notamment, de la situation contemporaine de l'art.
La forme appropriée pour traiter l’ensemble des
expériences artistiques de la Belle Epoque, serait celle de l'encyclopédie. N'ayant pas l'énergie nécessaire à un tel projet, je me rabats sur le blog, qui est, au fond, par définition, un fragment encyclopédique en perpétuelle expension. Et je focaliserai, ici, mon attention sur le travail d’un seul
artiste.
Cet artiste n’est pas un homme de théâtre ni un chorégraphe… mais un
plasticien et, plus précisément, un sculpteur. Il s’agit de Rodin. Il me plaît évidemment qu'un artiste qui travaille sur la matière la plus solide qui soit, en apparence : le marbre, le bronze, la terre, le plâtre, puisse être désigné comme un représentant de cette tendance dynamique de l'art de son époque.
Il s’agit 1°) de démontrer que le travail d’un artiste placé au premier plan
d’une histoire “officielle” de l’art soit lui-même susceptible d’être perçu sous l’angle
“minoritaire” de sa participation à la dimension expérimentale et industrielle
d’une époque. Prise sous cet angle, l’œuvre de Rodin n’est pas constituée
de chef d’œuvres, elle peut parfaitement être considérée comme la préparation d’une mise en scène en étroite relation avec son contexte culturel.
2°) de contribuer à redéfinir la « théâtralité » diffuse d’une époque, théâtralité qui n’est pas seulement dans le théâtre, qui ressortit au domaine du spectacle et qui, précisément entre 1870 et 1914, cherche à sortir d’elle-même pour produire de nouvelles formes d’événements artistiques.
“Spectacles du mouvement dans l’art de la Belle Epoque”, les termes y sont mais pas dans le bon ordre. Il s’agit de défendre la thèse suivante : la représentation du mouvement est, constitue le théâtre de la Belle Epoque. C’est-à-dire qu’en polarisant notre attention sur la question de la représentation du mouvement à une époque où, précisément, se redéfinissent les cadres de l’expérience théâtrale et la notion d’œuvre théâtrale (ce que les manuels appellent « l’invention de la mise en scène »), on peut tenter d’élargir le concept de "mise en scène" et celui de "théâtre" à d'autres types de manifestations qu'une approche classique ne rangerait pas sous la rubrique théâtrale.
1. Rodin représente ce
qui bouge
2. Rodin fait bouger ce
qu’il représente
3. Rodin précise le
rapport au mouvement de sa sculpture en la définissant non comme ce qui bouge mais comme ce qui peut bouger
Il n’y a pas dans l’énoncé de ces trois points de prétention à établir une chronologie. Une étude circonstanciée ferait apparaître l’ordre d’apparition des idées. Ce n’est pas, ici, mon propos.
1. Rodin et la représentation de ce qui bouge.
Commençons par ce en quoi l’artiste n’est pas spécialement le plus original même si l’excellence du sculpteur l’empêche jamais d’être médiocre. Il serait facile de montrer l’intérêt que Rodin portait au spectacle. Dans une enquête qui s’interroge sur ce qui constituait le clou de l’Exposition universelle de 1900 publiée par la Presse et traduite dans le New-York Herald, Rodin répond le pavillon cambodgien, les danses de Loïe Fuller et le jeu de Sada Yacco…
Exposition Universelle de 1900 (pavillon du Cambodge)
Sada Yacco, fait la couverture du journal Femina
Rodin, comme Degas et
tant d’autres, sculpte le corps du danseur ou de la danseuse comme un objet
dynamique.
La question de la représentation d’un animal en mouvement (on connaît l’anecdote du Cheval qui se trouve sur l’Esplanade, le sculpteur animalier Fratin se serait suicidé après qu’on lui aurait démontré que la position de son cheval n’était pas physiologiquement possible et les question de la représentation picturale du déplacement du cheval au galop…)
Rodin a fait un Nijinski. Des Icare.
Nijinski, par Rodin
L’homme ou la femme oiseau : La Chute d’Icare (1895) et Illusion sœur d’Icare (1896) Deux variations à partir de la Martyre..
Rodin, Illusion, sœur d'Icare
Le thème de l’homme oiseau et de la femme oiseau, on le retrouve évidemment dans nombre de peintures et d’objets de la Belle Epoque. Rappelons en passant que c’est aussi celui de la danse (la mort du cygne, l’oiseau de feu…) et du théâtre (Chantecler, d’E. Rostand).
Madame Simone, dans le rôle de la Faisane de Chantecler, d'Edmond Rostand
Ce thème, qu’on ne développe pas ici trouverait un prolongement intéressant dans une réflexion
sur ce qui enflamme Rodin en tant que sculpteur. À son amour de l’art se joint
un amour du corps de ses modèles. Il y a du désir, de l’investissement
libidinal. Le patriarche était un « Priapatriarche » dit Claudel (innombrables anecdotes, où le sculpteur sort de sa réserve et assaille littéralement ses modèles : Isadora Duncan,
Nijinski…). Sans doute, la libido de Rodin n’est pas seulement sexuelle.
Elle est aussi politique. Ses bourgeois de Calais, son Hugo, son Balzac sont
investis d’un désir civique, nationaliste, républicain…
La représentation du
mouvement est ainsi liée à la représentation des mouvements, et des événements.
Dans le roman du XIXe
siècle, les révolutions 1830, 1848, la Commune… occupent une place considérable (Les Misérables de Hugo, l’Éducation Sentimentale de Flaubert, etc. ).
Dans le roman du 1er XXe
siècle, l'événement est minime : On pourrait penser ces morceaux littéraires
comme ce qui permet d'arriver aux intermittence du cœur de Proust et au
monologues intérieurs de Joyce…
C'est la performance littéraire qui
prend le relais de la performance historique de l'événement. La littérature
devient elle-même événementielle.
(On a pu faire la même
observation en ce qui concerne la peinture. La facture de l'œuvre, le coup de
pinceau chez Manet coïncide avec le choc de ce qui est représenté (le torero
mort) mais pas toujours (l'asperge, l'Olympia).
Le même passage (encore une fois, non chronologique) est discernable chez Rodin. Il y a du mouvement dans les Bourgeois de Calais mais aussi dans des sculptures sans support historique (au titre mythologique ou anodin)…
2. Rodin fait bouger ses sculptures.
Rodin ne se contente pas de sculpter ce qui bouge, il cherche et trouve le secret du mouvement. C’est une alchimie paradoxale. Les statue, par définition, sont statiques. Une statue c’est ce qui ne bouge pas (d’où l’intérêt d’un titre comme celui du documentaire d'Alain Resnais : Les statue meurent aussi : si les statues, en principe, sont immortelles, c’est parce qu’elles ne bougent pas, qu’elle sont inanimées ).
Considérons le Penseur. Apparemment un monument de statisme. Une
concentration monumentale. Et pourtant, le simple fait que le coude droit
(celui qui se termine par la main qui soutient le menton) repose sur la cuisse
gauche, donne un dynamisme à la figure, celui de la torsion. La massivité du
penseur n’empêche pas une certaine mobilité (celle d’un bœuf, presque)
Le mouvement est d’autant plus fort, chez Rodin, qu’il n’est pas un de ces sculpteurs de la futilité gracile, de la fragilité, du style nouille… Ses œuvres, même de petite taille, donnent une impression de monumentalité.
Donc, il arrive que les statues s’animent, comme les dessins (cartoons), et presque à la même époque. Je laisse ici de côté, la question des effigies : de la marionnette, du robot — La nouvelle Eve — de la statue animée artificiellement…
Il s’agit bien des
statues et de leur mise en place, de leur fixité pensée comme un dispositif
mystérieusement mobile..
Dans un livre d’entretien
qui a eu avec Paul Gsell, Rodin qui consacre un chapitre au « Mouvement
dans l’Art » parle du « secret des gestes que l'art interprète ».
Rodin entend montrer que le sculpteur a l'art de
créer l'illusion du mouvement avec la matière inanimée de la sculpture.
Pour se faire, il choisit ses exemples
parmi des sculpteurs plus "classiques" que lui : Rude (la
Marseillaise, le Maréchal Ney)
ou
Carpeau (la Danse).
Rodin est parfois plus radical dans sa théorie que dans sa pratique , par exemple
lorsqu'il affirme que « Michel-Ange n'est pas, comme on l'a parfois soutenu,
un solitaire dans l'art. Il est l'aboutissant de toute la pensée gothique. On
dit généralement que la Renaissance fut la résurrection du rationalisme païen
et sa victoire sur le mysticisme du moyen âge. Ce n'est qu'à moitié juste.
L'esprit chrétien a continué à inspirer une bonne partie des artistes de la
Renaissance, entre autres Donatello, le peintre Ghirlandajo qui fut le maître
de Michel-Ange et Buonarotti lui-même. Celui-ci est manifestement l'héritier
des imagiers du treizième et du quatorzième siècle. » (L'Art, p. 267)
D'autre part, les sculptures qui bougent chez Rodin ne sont pas forcément les plus agressivement modernes du point de vue de la facture (académisme de l'Age d'airain).
Il y a dans l’œuvre de
Rodin des sculptures qui sont « encore plus vivantes que les autres, s'il
est possible », ce sont L'Age d'Airain et le Saint-Jean-Baptiste : toutes les œuvres de Rodin « produisent l'impression de la
chair réelle ; toutes respirent, mais celle-ci se meuvent ». À quoi Rodin
réplique :
« Elles peuvent en effet
compter parmi celles dont j'ai le plus accentué la mimique. J'en ai d'ailleurs
créé d'autres dont l'animation n'est pas moins frappante : mes Bourgeois de
Calais, mon Balzac, mon Homme qui marche, par exemple.
Et même dans celles de
mes œuvres dont l'action est moins accusée, j'ai toujours cherché à mettre
quelques indication de geste : il est bien rare que j'aie représenté le repos
complet. J'ai toujours essayé de rendre les sentiments intérieurs par la
mobilité des muscles.
Il n'est pas jusqu'à mes
bustes auxquels je n'aie souvent donné quelque inclinaison, quelque obliquité,
quelque direction expressive pour augmenter la signification de la physionomie.
L'art n'existe pas sans la vie. Qu'un statuaire veuille interpréter la joie, la douleur, une passion quelconque, il ne saurait nous émouvoir que si d'abord il sait faire vivre les êtres qu'il évoque. Car que serait pour nous la joie ou la douleur d'un objet inerte, … d'un bloc de pierre ? Or l'illusion de la vie s'obtient dans notre art par le bon modelé et par le mouvement. Ces deux qualités sont comme le sang et le souffle de toutes les belles œuvres. »
La question posée est
celle de la représentation du mouvement par les moyens de l'art inerte de la
sculpture. « Il me semble qu'il y a un peu de sorcellerie dans cette science de
faire remuer le bronze. » «Comment des masses d'airain ou de pierre semblent
réellement bouger, comment des figures évidemment immobiles paraissent agir et
même se livrer à de très violents efforts » ?
« Puisque vous me prenez pour
un sorcier », répond Rodin, « je vais essayer de faire honneur à ma
réputation en accomplissant une tâche beaucoup plus malaisée pour moi que
d'animer le bronze : celle d'exprimer comment j'y parviens.
Notez d'abord que le
mouvement est la transition d'une attitude à une autre.
Cette simple remarque qui
a l'air d'un truisme est, à vrai dire, la clé du mystère.
Vous avez lu certainement
dans Ovide comment Daphné est transformé en laurier et Progné en hirondelle. Le
charmant écrivain montre le corps de l'une se couvrant d'écorce et de feuilles,
les membres de l'autre se revêtant de plumes, de sorte qu'en chacune d'elle on
voit encore la femme qu'elle va cesser d'être et l'arbuste ou l'oiseau qu'elle
va devenir [ voici encore une illustration du mythe Belle Epoque de la
femme fleur ou de la femme oiseau ].Vous vous rappelez aussi comment dans L'Enfer du Dante, un serpent se plaquant contre le corps
d'un damné se convertit lui-même en homme tandis que l'homme se change en
reptile. Le grand poète décrit si ingénieusement cette scène qu'en chacun de
ces deux êtres, l'on suit la lutte des deux natures qui s'envahissent
progressivement et se suppléent l'une l'autre.
C'est en somme une
métamorphose de ce genre qu'exécute le peintre ou le sculpteur en faisant mouvoir
ses personnages. Il figure le passage d'une pose à une autre : il indique
comment insensiblement la première glisse à la seconde. Dans son œuvre, on
discerne encore une partie de ce qui fut et l'on découvre en partie ce qui va
être.
Un exemple vous éclairera
mieux. Vous avez cité tout à l'heure le Maréchal Ney de Rude. (…) Vous remarquerez ceci : les jambes du
maréchal et la main qui tient le fourreau du sabre sont placées dans l'attitude
qu'elles avaient quand il a dégainé : la jambe gauche s'est effacée afin que
l'arme s'offrit plus facilement à la main droite que venait la tirer et, quant
à la main gauche, elle est restée un peu en l'air comme si elle présentait
encore le fourreau.
Maintenant considérez le
torse. Il devait être légèrement incliné vers la gauche au moment où
s'exécutait le geste que je viens de décrire ; mais le voilà qui se redresse,
voilà que la poitrine se bombe, voilà qu’enfin le bras droit se lève et brandit
le sabre.
Ainsi, vous avez bien là
une vérification de ce que je vous disais : le mouvement de cette statue n'est
que la métamorphose d'une première attitude, celle que le maréchal avait en
dégainant, en une autre, celle qu'il a quand il se précipite vers l'ennemi,
l'arme haute.
C'est là tout le secret des gestes que l'art interprète. Le statuaire contraint, pour ainsi dire, le spectateur à suivre le développement d'un acte à travers un personnage. Dans l'exemple que nous avons choisi, les yeux remontent forcément des jambes au bras levé et comme, durant le chemin qu'ils font, ils trouvent les différentes parties de la statue représentées à des moments successifs, ils ont l'illusion de voir le mouvement s'accomplir. »
L'interlocuteur de Rodin
décrit alors ses sensations kinesthésiques en regardant deux œuvres de Rodin :
L'âge d'airain : « Les jambes de cet adolescent qui n'est pas complétement réveillé sont encore molles et presque vacillantes ; mais à mesure que le regard s'élève, on voit l'attitude se raffermir : les côtes se haussent sous la peau, le thorax se dilate, le visage se dirige vers le ciel et les deux bras s'étirent pour achever de secouer leur torpeur. Ainsi le sujet de cette sculpture est le passage de la somnolence à la vigueur de l'être prêt à agir. Ce geste lent du réveil apparaît d'ailleurs d'autant plus majestueux qu'on en devine l'intention symbolique. Car il représente, à vrai dire, comme l'indique le titre de l'œuvre, la première palpitation de la conscience dans l'humanité encore toute neuve, la première victoire de la raison sur la bestialité des Ages préhistoriques. »
Le saint Jean-Baptiste : « Je vis que le rythme de cette figure se
ramenait encore, comme me l'avait dit Rodin, à une sorte d'évolution entre deux
équilibres. Le personnage appuyé d'abord sur le pied gauche qui pousse le sol
de toute sa force semble se balancer à mesure que le regard se porte vers la
droite. On voit alors tout le corps s'incliner dans cette direction, puis la
jambe droite avance et le pied s'empare puissamment de la terre. En même temps,
l'épaule gauche qui s'élève semble vouloir ramener le poids du torse de son
côté pour aider la jambe restée en arrière à revenir en avant. Or, la science
du sculpteur a consisté précisément à imposer au spectateur toutes ces
constatations dans l'ordre où je viens de les indiquer, de manière que leur
succession donnait l'impression du mouvement.
Au surplus, le geste du Saint Jean-Baptiste recèle de même que celui de l'Age d'Airain une signification spirituelle. Le prophète se déplace avec une solennité presque automatique. On croirait entendre ses pas sonner comme ceux de la statue du Commandeur. On sent qu'une puissance mystérieuse et formidable le soulève et le pousse. Ainsi la marche, ce mouvement si banal d'ordinaire, devient ici grandiose parce qu'elle est l'accomplissement d'une mission divine. »
La référence à la statue du commandeur est intéressante. Non seulement parce que celle-ci offre l'image d'une statue qui bouge et qui parle mais parce que cette statue n'est pas une vraie statue, c'est une statue de théâtre, un acteur avec un costume de statue. Et que dans ce dernier cas (celui de l'objet spectaculaire que constitue la statue mouvante de Don Juan), pour que l'effet soit réussi, il faut plutôt gommer le mouvement, que l'acteur réussisse à imposer à son corps la rigidité et l'immobilité d'une statue, sans quoi, l'illusion ne fonctionnerait pas.
Deux objets
spectaculaires : l'acteur qui se fige en statue et la statue qui agit comme un
acteur selon un mouvement inspiré par son texte ou sa partition (le saint
Jean-Baptiste est animé d'un
mission spirituelle, l'Age d'Airain
représente de manière symbolique l'éveil de l'humanité).
L'art d'animer la statue
est à l'opposé de l'instantané photographique qui fige le mouvement dans une
pose statique :
« Avez-vous déjà examiné
attentivement dans des photographies instantanées des hommes en marche ? (…)
qu'avez-vous remarqué ?
— Qu'ils n'ont jamais
l'air d'avancer. En général, ils semblent se tenir immobiles sur une seule
jambe ou sauter à cloche-pied.
— Très exact ! Et tenez,
par exemple, tandis que mon Saint Jean est représenté les deux pieds à terre,
il est probable qu'une photographie instantanée faite d'après un modèle qui
exécuterait le même mouvement, montrerait le pied d'arrière déjà soulevé et se
portant vers l'autre. Ou bien, au contraire, le pied d'avant ne serait pas
encore à terre si la jambe d'arrière occupait dans la photographie la même
position que dans ma statue.
Or, c'est justement pour
cette raison que ce modèle photographié présenterait l'aspect bizarre d'un
homme tout à coup frappé de paralysie et pétrifié dans sa pose, comme il
advient dans le joli conte de Perrault aux serviteurs de la Belle au Bois
Dormant, qui tous s'immobilisent subitement dans l'attitude de leur fonction.
Et cela confirme ce que
je viens de vous exposer sur le mouvement dans l'art. Si, en effet, dans les
photographies instantanées, les personnages, quoique saisis en pleine action,
semblent soudain figés dans l'air, c'est que toutes les parties de leur corps
étant reproduites exactement au même vingtième ou au même quarantième de
seconde, il n'y a pas là, comme dans l'art, déroulement progressif du geste.
»
L'interlocuteur de Rodin
tente de le mettre en contradiction avec lui-même : si Rodin prône l'imitation
de la nature, comment peut-il se mettre en désaccord avec la photographie ?
« C'est l'artiste qui est
véridique », affirme Rodin, « et c'est la photographie qui est menteuse ;
car dans la réalité le temps ne s'arrête pas : et si l'artiste réussit à
produire l'impression d'un geste qui s'exécute en plusieurs instants, son œuvre
est certes beaucoup moins conventionnelle que l'image scientifique où le temps
est brusquement suspendu. Et c'est même ce qui condamne certains peintres
modernes qui, pour représenter des chevaux au galop, reproduisent des poses
fournies par la photographie instantanée.
Ils critiquent Géricault parce que dans sa Course d'Epsom, qui est au Louvre, il a peint des chevaux qui galopent ventre à terre, selon l'expression familière, c'est-à-dire en jetant à la fois leurs jambes en arrière et en avant. Ils disent que la plaque sensible ne donne jamais une indication semblable. Et en effet dans la photographie instantanée, quand les jambes antérieures du cheval arrivent en avant, celles d'arrière, après avoir fourni par leur détente la propulsion à tout le corps, ont déjà eu le temps de revenir sous le ventre pour recommencer une foulée, de sorte que les quatre jambes se trouvent presque rassemblées en l'air, ce qui donne à l'animal l'apparence de sauter sur place et d'être immobilisé dans cette position.
Or, je crois bien que c'est Géricault qui a raison contre la photographie : car ses chevaux paraissent courir : et cela vient de ce que le spectateur, en les regardant d'arrière en avant, voit d'abord les jambes postérieures accomplir l'effort d'où résulte l'élan général, puis le corps s'allonger, puis les jambes antérieures chercher au loin la terre. Cet ensemble est faux dans sa simultanéité ; il est vrai quand les parties en sont observées successivement et c'est cette vérité seule qui nous importe, puisque c'est celle que nous voyons et qui nous frappe. »
Il faut rapprocher de ce propos l'anecdote, évidemment fausse, précédemment citée au sujet du sculpteur messin Fratin, prétenduement suicidé après qu'on lui ait fait remarquer que l'attitude dans laquelle il avait représenté son cheval était physiologiquement impossible.
Après avoir médité ce que dit Rodin, Gsell avance ceci :
« Tout en admirant
ce miracle de la peinture et de la sculpture qui parviennent à condenser
plusieurs moments dans une seule image, je me demande maintenant jusqu'à quel
point elles peuvent rivaliser avec la littérature et surtout avec le théâtre
[ je souligne ] dans la notation du mouvement.
A vrai dire, j'incline à penser que cette concurrence ne va pas très loin et que, sur ce terrain, les maîtres du pinceau et de l'ébauchoir sont nécessairement très inférieur à ceux du verbe. »
Rodin :
« — Notre désavantage n'est point tel que vous le croyez. Si la
peinture et la sculpture peuvent faire mouvoir des personnages, il ne leur est
pas défendu de tenter plus encore.
Et parfois elles parviennent à égaler l'art dramatique en figurant dans un même tableau ou dans un même groupe sculptural plusieurs scènes qui se succèdent. »
Gsell : « J'imagine
que vous voulez parler de ces compositions anciennes qui célèbrent l'histoire
entière d'un personnage en le représentant plusieurs fois sur le même panneau
dans des situations différentes » (et il donne l'exemple de la Légende d'Europe
dans une petite peinture italienne du XVe siècle qui est reproduite dans le
livre).
« C'est là, dit Rodin, un
procédé très primitif qui cependant fut pratiqué même par de grands maîtres…(…)
mais ce n'était pas à une méthode si puérile que je faisais allusion : car vous
vous doutez bien que je la désapprouve. »
(il se réfère alors à l'Embarquement pour Cythère de Watteau).
« Dans ce
chef-d'œuvre, l'action, si
vous voulez bien y prendre garde, part du premier plan tout à fait à droite
pour aboutir au fond tout à fait à gauche.
Ce qu'on aperçoit d'abord
sur le devant du tableau, sous de frais ombrages, près d'un buste de Cypris
enguirlandé de roses, c'est un groupe composé d'une jeune femme et de son
adorateur. L'homme est revêtu d'une pèlerine d'amour sur laquelle est brodé un
cœur percé, gracieux insigne du voyage qu'il voudrait entreprendre.
Agenouillé, il supplie
ardemment la belle de se laisser convaincre. Mais elle lui oppose une
indifférence peut-être feinte et elle semble regarder avec intérêt le décor de
son éventail… (…) jusqu'à présent le bâton du pèlerin et le bréviaire d'amour
gisent encore à terre.
Ceci est une première
scène.
En voici une seconde :
A gauche du groupe dont
je viens de parler est un autre couple. L'amante accepte la main qu'on lui tend
pour l'aider à se lever.
(…)
Plus loin, troisième
scène. L'homme prend sa maîtresse par la taille pour l'entraîner. Elle se
tourne vers ses compagnes dont le regard la rend elle-même un peu confuse, et
elle se laisse emmener avec une passivité consentante.
Maintenant les amants
descendent sur la grève et, tout à fait d'accord, ils se poussent en riant vers
la barque : les hommes n'ont même plus besoin d'user de prière : ce sont les
femmes qui s'accrochent à eux
Enfin les pèlerins font
monter leurs amies dans la nacelle qui balance sur l'eau sa chimère dorée, ses
festons de fleurs et ses rouges écharpes de soie. Les nautoniers appuyés sur
leurs rames sont prêts à s'en servir. Et déjà portés par la brise de petits
Amours voltigeant guident les voyageurs vers l'île d'azur qui émerge à
l'horizon.
(…)
Avez-vous noté le
déroulement de cette pantomime ? Vraiment, est-ce du théâtre ? est-ce de la
peinture ? On ne saurait le dire. Vous voyez donc bien qu'un artiste peut,
quand il lui plaît, représenter non seulement des gestes passagers, mais une
longue action, pour employer
le terme usité dans l'art dramatique.
Il lui suffit, pour y
réussir, de disposer ses personnages de manière que le spectateur voie d'abord
ceux qui commencent cette action,
puis ceux qui la continuent et enfin ceux qui l'achèvent.
Voulez-vous un exemple en
sculpture ?
— Voici, me dit-il, la Marseillaise, que le puissant Rude a taillée sur un des
jambages de l'Arc de Triomphe.
Aux arme, citoyens ! hurle à pleins poumons la Liberté cuirassée
d'airain qui fend les airs de ses ailes déployées. Elle lève son bras gauche
haut dans l'espace pour rallier à elle tous les courages, et de l'autre main,
elle tend son glaive vers l'ennemi.
C'est elle, sans aucun doute, qu'on aperçoit d'abord, car elle domine toute l'œuvre, et ses jambes qui s'écartent comme pour courir, couvrent d'un formidable accent circonflexe ce sublime poème de guerre.» [Pur génie de Rodin !]
"Il semble même qu'on
l'entende : car vraiment sa bouche de pierre vocifère à vous briser le tympan.
Or, à peine a-t-elle jeté
son appel qu'on voit les guerriers ses précipiter.
C'est la seconde phase de
l'action. Un Gaulois à la crinière de lion agite son casque comme pour saluer
la déesse. Et voici que son jeune fils demande à l'accompagner : — Je suis
assez fort, je suis un homme ; je veux partir ! semble dire l'enfant en serrant
la poignée d'une épée. — Viens ! dit le père qui le regarde avec une tendresse
orgueilleuse.
Troisième phase de
l'action. Un vétéran courbé sous le poids de son équipement fait effort pour
les rejoindre ; car tout ce qui possède quelque vigueur doit marcher au combat.
Un autre vieillard accablé d'années suit de ses vœux les soldats, et le geste
de sa main semble répéter les conseils que leur donna son expérience.
Quatrième phase. Un archer ploie son dos musculeux pour bander son arme. Un clairon jette aux troupes une sonnerie frénétique. Le vent fait claquer les étendards ; les lances toutes ensemble se couchent en avant. Le signal est donné et déjà la lutte commence. »
"Ainsi, là encore, c'est
une véritable composition dramatique qui vient d'être jouée devant nous. Mais
tandis que l'Embarquement pour Cythère évoquait les délicates comédies de Marivaux, la Marseillaise est une large tragédie cornélienne. Je ne sais
d'ailleurs laquelle des deux œuvres je préfère : car il y a autant de génie
dans l'une que dans l'autre. (…)
— Vous ne direz plus, je
pense, que la sculpture et la peinture sont incapables de rivaliser avec le
théâtre ? »
Suit une analyse, menée par Gsell et cautionnée par Rodin, des Bourgeois de Calais.
3. Rodin met en scène ses sculptures.
« Le mouvement,
j’ai cru longtemps que c’était tout, que c’était le grand moyen. Mais la
statuaire ne remue pas. Il faut sentir qu’elle peut remuer »
« Il est immobile, mais
il va marcher. Voilà une chose à laquelle j’ai beaucoup pensé » écrit Rodin, à
propos d’Eustache de Saint-Pierre, l’un des Bourgeois.
Cela fait penser à Freud à propos du Moïse de Michel Ange : Est-il sur le point de se lever ou vient-il de se rasseoir ?
Le théâtre est-il
l’action ? Ou la possibilité de l’action (comme chez Racine, dans la tragédie
française) Qu’est-ce qui bouge le plus ? Le mouvement développé ou le mouvement
potentiel ?
Peut-être faudrait-il dire que, contrairement au cinéma, le théâtre ne bouge pas vraiment. C’est comme la statuaire de Rodin. N’importe qui voit qu’il est prêt à bouger, qu’il va bouger. La scène théâtrale est un espace où une action est possible. La possibilité de l’action est la condition du théâtre. Mais la potentialité de cette action va parfois plus loin que l’action elle-même.
Entre le dynamisme et le
statisme, il y a des variations d’intensité mais aussi des variations de
qualité. De fait, le mouvement chez Rodin est souvent contenu, retenu, comme
pour La Centauresse,
une femme essaie de se dégager du cheval, ou dans fugit
amor,
un homme essaie de retenir une femme. L’homme qui tombe tenant dans ses bras la femme accroupie peut se lire comme l’extraction par l’homme de la femme engluée dans la matière. Effets de poussé - tiré innombrables. Il n’y a pas trente-six qualités du mouvement, c’est ce que mettent en lumière les praticiens du corps, Jacques Lecoq, par exemple.
Comme si le mouvement (contenu et détendu) de la statue ne suffisait pas à Rodin, il éprouve le besoin de placer ses œuvres dans leur contexte avec un soin maniaque tout à fait étonnant. Ce qui justifie qu’on puisse parler de « mise en scène ».
Cela peut se faire, au moins, de quatre manières.
1°) Par des expositions.
Cf. la thèse d’Alain Beausire. Rodin ne commença à affronter le public dans des
expositions personnelles qu’à partir de 1899 (à l’âge de 59 ans !). Sa première
exposition, en 1871, ce qui signifie un souci, une inquiétude
difficilement rassurée.
En 1900, grande exposition Rodin dans un pavillon privé, place de l’Alma. En 1901, le pavillon est démonté et reconstruit à Meudon (sorte d’exposition privée, geste très singulier de la collection, du musée Rodin élaboré du vivant de l’artiste. On pourrait encore comparer avec Migette.
2°) En réfléchissant à la manière dont les sculptures seront posée sur des socles, des colonnes, de quelle hauteur, sous quel éclairage (bien que la question de l’éclairage soit toujours traitée après celle de la situation) . Les Bourgeois sur un socle ou non ? (Rodin renonce à de nombreuses expositions qui n’offrent pas les garanties nécessaires). Rodin va au-delà du socle. Il lui arrive de mettre le socle d’origine de l’œuvre sur un socle de présentation. C’est, notamment, le cas pour un buste de Falguière , Falguière étant décédé peu de temps auparavant, Rodin associe encore une draperie sombre.
Il faut aussi observer
que Rodin fait constamment agrandir ou réduire ses œuvres, sans que l’on
comprenne très bien pourquoi. Motif commercial, mais pas seulement…
En 1906, Le penseur est installé devant le Panthéon.
3°) En faisant proliférer
ses images. Marcottage (procédé qui consiste à réutiliser des œuvres déjà
créées). Dans l’atelier de Rodin, les fragments moulés se mélangent, parfois
par hasard. Ils s’agrègent pour constituer de nouvelle compositions. La
Martyre. On retrouve son visage une dizaine de fois dans la porte. La figure
sert à Orphée et les Ménade,
à Orphée et Eurydice sortant de l’Enfer,
dans
Orphée implorant…
Pourvues d’ailes, elle représente la Chute d’Icare, puis, taillée dans le marbre, Illusion, sœur d’Icare (le public s’était montré choqué qu’une figure féminine puisse représenter Icare).
4°) autre type de
prolifération : la multiplication (plus moderne encore que le marcottage). Il s’agit de faire se répéter, sous des
angles différents, la même figure dans la même œuvre. Par exemple les trois
ombres qui couronnent la porte de l’enfer, sont une démultiplication de la
figure d’Adam.
L’animation de la sculpture, chez Rodin, vient à la fois d’une science de la représentation du geste dynamique développé dans le temps de la perception du spectateur (on pense à la chronologie paradoxale de la poésie de Dante : la flèche atteint la cible, l’archer la lâche), de sa mise en place dans une situation donnée et, aussi, de manière très complexe et très subtile, de la comparaison entre différentes variations (sorte de persistance rétinienne au ralenti). Ce qui rapprocherait l’œuvre de Rodin du dispositif cinématographique.
Ainsi l’homme de Fugit
amor est celui de l’Enfant
prodigue.
La même position ne signifie pas toujours le même mouvement. Retenir l’amour (la femme) ou supplier. Grammaire des gestes. Quelque chose qui serait, sans doute, applicable au comédien. De même que le marionnettiste du traité de Kleist n’accomplit qu’une série limité de mouvement pour produire des variations infinies dans le mouvement de la marionnette, le sculpteur utilise des formes données pour créer un univers presqu’infini de mouvements.
Nous sommes donc, ici, en
présence d’un objet spectaculaire très particulier. Traité sur le mode de
l’histoire de l’art traditionnelle, il est réduit à l’état de chef d’œuvre dans
la galerie du musée. Mais Rodin avait prévu une présentation de son œuvre bien
plus dynamique. L’objet spectaculaire tel que je m'efforce de le cerner et de le décrire est une
constructions industrieuse (sinon industrielles), dont le statut s'exprime de manière résolument impure. Que la Belle Epoque ait enfanté le 7ème art (le cinéma) n’induit en aucune
façon qu’il n’y ait que sept formes d'arts. D’autres arts étaient alors en gestation… Qu’ils n'aient pas réussi à
s’imposer sous une forme pure, qu'ils n'aient pas trouvé leur définition exacte, ne doit pas nous autoriser à les oublier.
Bibliographie
— RODIN, Auguste, L’Art, entretiens réunis par Paul
Gsell, Paris, Bernard Grasset, 1911.